Il était un temps où le savant intégral existait bel et bien. Il était mathématicien, philosophe, chimiste, etc. Cétait à un moment où la quantité de connaissances produites par lhumanité était assez limitée pour quun être humain, vivant un age normal, les assimile et les mémorise dans leur globalité.
Aujourdhui, et depuis longtemps déjà, ce savant a cessé dexister et seul le spécialiste pointu, dans une branche donnée dun domaine particulier, est encore possible. Léquivalent du savant intégral davant le vingtième siècle nécessiterait aujourdhui une vie de plusieurs centaines dannées, à savoir des millénaires ; tout ceci dans la mesures où les capacités naturelles du corps humain seraient capables de les enregistrer et les retenir. Mais là encore, les limites sont connues et la réponse est pour le moment sans équivoque, même si des études affirment que lhomme nutilise que 10% des capacités de son cerveau.
La maîtrise de la totalité des connaissances nétant plus de la capacité humaine depuis longtemps, la spécialisation a été la seule parade et elle le restera
à moins que lhomme arrive à trouver la solution pour multiplier ses facultés dacquisition et de possession de linformation dans des proportions nécessaires à cette maîtrise. Mais ces facultés, compte-tenu des connaissances actuelles, ne pourront pas être uniquement naturelles. Elles existeront aussi sous forme artificielle, intégrées à son corps, interconnectées et communicantes avec ses organes naturels : cerveau, mémoire, nerfs, vue, ouie, etc. Lhomme sera alors un être qui portera dans son corps processeurs, mémoires et électroniques de communication ; un être télé-communiquant et électroniquement assisté.
Et en développant la spécialisation, lhomme a développé progressivement le travail de groupe et divers outils, méthodes et boites noires qui lui permettent de participer à la réalisation de travaux multi-spécialités, et de disposer dinterfaces de communication avec les autres spécialistes. Certains de ces outils ont été dun apport particulièrement important. Il sagit principalement de lordinateur, et lévolution fulgurante qui a caractérisé son développement. Parallèlement se sont développés les télécommunications et les réseaux. Puis arriva Internet et son ouverture au grand public. Mais le plus important de ces outils, des experts et des sociologues laffirment, viendra dune évolution récente des technologies de télécommunication. Il sagit du haut débit grand public qui sera pour le 21ème siècle ce quont été lélectricité pour le 20ème et les chemins de fer pour le 19ème.
La généralisation du haut débit et les modes de mise en uvre qui lui sont associés (principalement le sans-fil et le satellite), transformeront lhomme, son domicile, son poste de travail et sa voiture en nuds dun réseau global qui les identifie, les reconnaît, leur fournit les informations dont ils ont besoin et collecte celles quils génèrent pour la diffuser dans lautre sens sur le réseau. Le mode de vie de lhomme changera lors fondamentalement et linformation deviendra la clé de voûte de son existence, de ses mouvements et de son savoir. Ce sera laccomplissement de la société de linformation.
La notion de « société de linformation » a été citée pour la première fois en 1984 par le sociologue français Alain Tourène, à un moment où les technologies de linformation étaient embryonnaires et noccupaient pas la place quelles occupent aujourdhui dans la vie de lhomme. A un moment où la notion ne concernait pas directement lindividu et son mode de vie, mais la société en général et son rapport avec le travail.
La notion de « société de linformation» a donc évolué. Elle marque le commencement dune époque. Une époque qui se distingue nettement de celle qui la précédé par le rapport organique qui se développe aujourdhui de plus en plus entre lhomme et son environnement dun coté et les TICs de lautre. Un rapport qui commence à influer profondément sur le mode de vie de lindividu. Individu qui devient de plus en plus dépendant des informations que lui délivrent les réseaux pour travailler, sinformer, apprendre, se déplacer. Mais dépendant aussi des informations quil produit et envoie sur ce réseau et que le réseau collecte sur lui. Les capacités cognitives de lhomme se trouveront alors elles aussi étendues et artificiellement développées. Les connaissances quil utilise nauront plus besoin dêtre toutes dans sa mémoire propre, mais réparties sur divers supports et lieux géographiques. Les logiciels et les réseaux réaliseront de travail de collecte, analyse, identification, stockage, extraction, conversion, et enfin de routage (acheminement) de ou vers le nud concerné que représente lhomme, les objets ou les lieux utilisés par lhomme. Mais tout ceci doit être fait à des délais suffisamment courts et en tout lieu pour permettre une interaction en temps réel et permanente entre lhomme et son environnement. Or ceci ne peut être assuré que par un réseau rapide, fiable et omniprésent. Cest alors à ce moment là que la société de linformation aura atteint son ultime accomplissement. Celle dont on parle aujourdhui ne serait alors que le début dun phénomène, dont le développement évolue différemment selon la région du monde et le pays dans lequel on se trouve. Mais contrairement aux phénomènes de société vécus dans la passé, celui de la société de linformation nest pas reproductible par la simple volonté des individus, parce quil dépend en grande partie du niveau de vie et du mode de vie de la population dans son ensemble.
Vue de cet angle, lentrée à plusieurs vitesse dans la société de linformation représente un facteur supplémentaire de fracture numérique entre les peuples. Fracture numérique qui naura même pas de sens dans lesprit des peuples des pays pauvres, tant que leur niveau de vie naura pas évolué sensiblement.
Tahar JEBARI
Octobre 2004