Le SMSI de Tunis vu par Blaise Duaner : un succès malgré les ombres ?

Date 24/11/2005 14:00:00 | Sujet : Société de l'information

Après avoir participé au SMSI Blaise Duaner nous livre ses premières impressions relativement équilibrées dont voici les points forts :

"le premier atout de cette manifestation se situe dans la rencontre d’acteurs politiques, techniques et commerciaux de plus de 150 pays. Quel chemin parcouru depuis la première conférence préparatoire de Genève en juillet 1992 ! La société de l’information, ce mélange d’aspects techniques, sociaux et politiques qui façonne la vie moderne, a maintenant obtenu ses lettres de créance."

"La lutte contre la « fracture numérique » et son financement a été réaffirmé avec conviction."

"la gouvernance d’Internet qui aura occasionné une vraie bataille diplomatique"

"Il y a malheureusement des questions importantes qui n’ont pas été abordées. Deux d’entres elles me paraissent particulièrement importantes la propriété intellectuelle relative à l’informatique et le partage des coûts de télécommunication entre les pays."

Voici sa vision du sommet :
Mes impressions du SMSI ? Hum, je suis un peu de retard... mais la semaine dernière, le SMSI faisait la une de la presse ! Et si j’étais intervenu, tout comme la presse, j’aurais surtout protesté.
Oui. Ce qui m’a frappé, en arrivant à Tunis, c’est le quadrillage policier. La ville était vide, de nombreuses boutiques fermées. Le gouvernement avait déclaré trois jours fériés… pour faciliter le trafic ! Ensuite, il y a eu ce sentiment de malaise. Accueillis comme des VIP, nous étions surveillés comme des suspects, mis à l’écart, dans un parc d’exposition isolé, entouré par des barrières métalliques et surveillé jour et nuit… Dans le parc Khram comme dans les hôtels, l’accès Internet était filtré rendant impossible la lecture des boites aux lettres sur Free, la consultation de Libération.fr, etc. Le régime avait probablement considéré le moment opportun pour nous faire partager les plaisirs de la censure et nous présenter les hautes compétences techniques de ses services... Il a fallu attendre une intervention ferme de la communauté internationale, dont celle de Philippe Douste-Blazy déclarant qu'il était "très important que les droits de l'homme soient respectés en Tunisie" pour que les filtres soient provisoirement shuntés. Ce qui démontre tout autant le mépris de la dictature tunisienne pour les principes de l’ONU que sa faiblesse face à une action internationale résolue.

Mais cela dit, il faut se rendre à l’évidence, le SMSI de Tunis est un succès. Il a réuni près de 20 000 participants alors qu’il y en avait tout juste 11 000 à Genève, la différence étant notamment due aux organisations non gouvernemental et au secteur privé, dont de très nombreux tunisiens. Il s’est déroulé sans incident majeur alors qu’une logistique exceptionnelle a du être déployé pour héberger, restaurer, conduire et surveiller près de 1000 délégations de toute sorte. La Tunisie montrait ici son excellent savoir-faire logistique.

Et finalement le premier atout de cette manifestation se situe dans la rencontre d’acteurs politiques, techniques et commerciaux de plus de 150 pays. Quel chemin parcouru depuis la première conférence préparatoire de Genève en juillet 1992 ! La société de l’information, ce mélange d’aspects techniques, sociaux et politiques qui façonne la vie moderne, a maintenant obtenu ses lettres de créance. Tous les diplomates, tous les cabinets gouvernementaux ont du se familiariser avec des mots nouveaux, issus de l’idylle inattendu des médias et de l’informatique. Combien sont nées d’idées nouvelles, de collaborations, de projets ?

Les cassandres nous diront que les résultats sont maigres, que les promesses, pourtant bien limitées, ne seront pas tenues. Ils n’ont peut-être pas tord. Il reste cependant que ce sommet aura mis en place un certain nombre de processus qui ont toute chance de perdurer. A commencer par la bataille pour la liberté d’expression sur Internet, les maladresses de Ben Ali, lui ont donné un écho inespéré, obligeant les délégations européennes et américaines à intervenir, contraignant le gouvernement tunisien à faire quelques concessions dont l’avenir nous dira si elles sont de pure forme.

Cette fois l’accent était mis sur le développement. La lutte contre la « fracture numérique » et son financement a été réaffirmé avec conviction. Et si les pays donateurs ont refusé de s’engager dans le financement du « Fonds de solidarité numérique ». Ils ne se sont pas limités, comme à Genève, à vanter les vertus du partenariat public privé et l’ouverture des marchés à la concurrence internationale. Obligé de considérer « que les force du marché ne peuvent à elle seules assurer la pleine participation des pays en développement sur le marché mondial », ils ont accepté de prendre en compte les TIC parmi les priorités, de même qu’ils ont accepté qu’un dispositif de suivi du SMSI puisse assurer la mise en œuvre des résolutions et notamment l’appui aux plan nationaux : les « cyberstratégies ».

Mais c’est la gouvernance d’Internet qui aura occasionné une vraie bataille diplomatique. Rappelons les enjeux. Un organisme californien, sous tutelle du Secrétariat d’État américain au Commerce, l’ICANN est actuellement l’unique régulateur international du réseau. Sa mission, même si elle reste limitée, n’est pas sans conséquence. « L’ Internet Corporation for Assigned Names and Numbers » est la « société chargée de l’attribution des noms et des numéros ». On lui reproche de multiplier les domaines (.aero, .info .biz,.info, .name, .pro…), de freiner la reconnaissance des mots utilisant d’autres caractères typographique que la panoplie anglo-américaine : accents, caractères cyrilliques, arabes, chinois… et d’être tributaire des juridictions américaines et de leurs coûteuses procédures. Rude épreuve pour la première puissance mondiale qui a du s’affronter seule à presque tous les autres pays. Si au final, un compromis assez flou a été adopté (création d’un forum pour poursuivre la discussion), il faut noter qu’une grande partie de « l’Agenda de Tunis pour la société de l'information », est consacré à la gouvernance et rappelle des principes généraux de droits international qui devraient s’appliquer à Internet, ajoutant au débat de nouvelles questions qui ne font pas consensus telles que la protection des données personnelles, les informations illégales, le spamme, la protection du consommateur…

Voilà pour les questions soulevées par le SMSI. Il y a malheureusement des questions importantes qui n’ont pas été abordées. Deux d’entres elles me paraissent particulièrement importantes la propriété intellectuelle relative à l’informatique et le partage des coûts de télécommunication entre les pays.

La propriété intellectuelle concerne les logiciels informatiques et les contenus. Une bataille a fait rage à la Commission européenne sur une directive portant sur les brevets logiciels. Cette question assez technique concerne tous les utilisateurs d’ordinateurs et autres objets utilisant des microprocesseurs tels que les téléphones mobiles et nombre d’appareils électroménagers. Actuellement les logiciels ne peuvent être breveté, car ils sont considérés comme un ensemble d’idées. Ils reste cependant protégés par le droit d’auteur (ou copyright aux états unis). Mais les idées qu’ils contiennent peuvent être librement reprises. C’est ce droit qui permet de diffuser gratuitement des « logiciels libres » et de développer une sorte d’économie du partage et de la solidarité qui échappe aux firmes multinationales. Nombre de pays en développement soutiennent fermement les logiciels libres, alternative crédible au monopole de Microsoft. Le Brésil, la Chine et l’Inde en sont parmi les plus actif promoteurs.

Craignant une résolution favorable au logiciel libre, Les États-Unis et certains de leurs alliés ont réussi à éliminer tout débat sur cette question au prétexte qu’elle est du ressort d’un organisme onusien non participant au Sommet : l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Il en a été presque de même sur la question des règles de répartition des coûts de télécom. Elles ont été évoquées mais pas débattues… La question est la suivante. Pour le téléphone, le coût est partagé en deux. Exemple, j’appelle depuis Paris vers Moroni aux Comores, je paye 100. L’opérateur de Moroni va récupérer 50 tout comme l’opérateur de Paris. Mais voilà, ce système tombe avec Internet. Personne n’appelle, la liaison est permanente. Et généralement c’est l’opérateur le plus éloigné des États-unis (ou de l’Europe) qui paye la location d’une ligne vers les États-unis (ou l’Europe). Le système est donc particulièrement inéquitable car il fait généralement peser le coût le plus élevé sur l’utilisateur le plus pauvre…

A suivre…

Blaise Duaner - Paris




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