Le SMSI de Tunis vu par Bruno Oudet

Date 4/12/2005 21:30:00 | Sujet : Société de l'information

Le billet de Blaise Duauner Le SMSI de Tunis. un succès malgré les ombres ? dresse un bilan intéressant du SMSI de Tunis. Il ne sert donc à rien à le répéter ici. Comme le souligne Blaise, le SMSI est une étape très importante de la prise de conscience mondiale de cette société de l’information qui débarque par tous les côtés, qui est au cœur du processus de mondialisation avec ses bons et ses mauvais côtés.

Je me contenterai ici d’attirer un peu plus l’attention sur les documents produits, sur l’implication de la société civile « from input to impact », depuis sa contribution aux idées à son impact sur le résultat final (les textes adoptés).

A Tunis deux documents ont été adoptés. On les trouve sur le site du SMSI à l’adresse http://www.itu.int/wsis/documents/doc_multi.asp?lang=fr&id=2266|2267

Le premier « Engagement de Tunis » (6 pages) n’est guère innovant. Il réaffirme ce qui a été adopté à Genève. « Nous reconnaissons », « nous réaffirmons » sont les débuts de phrase les plus courants. Ceci confirme la conviction des délégations gouvernementales que les TICs vont jouer un rôle important dans la réalisation des objectifs du Millénaire http://www.un.org/french/millenniumgoals .
Reste « Comment s’y prendre pour y arriver, comment lutter contre la fracture numérique avec toutes ses formes d’exclusion ». C’est ce comment qui fait l’objet du deuxième document « l’Agenda de Tunis » avec ses trois volets : le financement, la gouvernance de l’Internet et le suivi (23 pages). Il faut lire ce document, c’est la contribution de la deuxième phase du sommet.

La section gouvernance de l’Internet est la plus importante (8 pages sur 23). Pour ma part je retiendrai ici que les Etats-Unis ont reconnu ouvertement qu’ils ont le contrôle de l’ICANN et entendent bien le garder. Ils ont accepté la création d’un Forum sur la gouvernance de l’Internet pour poursuivre les discussions sur la gouvernance mais en spécifiant bien que ce forum ne pourra « débattre de questions qui ne relèvent pas de la compétence d’organismes déjà existant » (dont l’ICANN). Loïc Damilaville écrit dans son DSNEWS http://groups.yahoo.com/group/dnsnews/ que ce désir de maintenir leur mainmise sur l’ICANN « conduira inévitablement à des situations de plus en plus tendues, la solution la plus évidente étant l’émergence de nouvelles « racines » (je n’emploie pas, volontairement, le terme biaisé de « racines alternatives » car ces nouvelles racines pourraient ne pas être entièrement liées au DNS). Ainsi, pour avoir voulu conserver seuls le contrôle du système actuel, les hommes de Washington ont pris le risque de voir naître d’autres systèmes dont le contrôle leur échappera. »

Reste qu’à côté de ce point de désaccord pour la première fois l’ONU s’est saisie du sujet de la gouvernance de l’Internet sur sous ses aspects : gestion des noms de domaine, mais aussi sécurité, lutte contre les spams, cyber-criminalité, défense du multilinguisme…

L’implication de la société civile a été forte tout au long du sommet. Elle a su tirer parti d’une première au niveau d’un sommet de l’ONU, la pleine utilisation de l’Internet pour rendre disponible les documents à tous, délégations gouvernementales et observateurs, ce dernier terme regroupant organisations internationales, société civile, entreprises privées. Jamais sans doute le terme « mutipartenaire » pour qualifier cette diversité de participation n’aura été autant utilisé. L’impact de la société civile sur les textes adoptés est évident sur les thèmes des droits de l’homme, du partage des connaissances, les logiciels libres.

La société civile ressort cependant déçu par sa participation au processus. Elle reconnaît la possibilité qui lui a été offerte pour faire des contributions (input) mais reste déçue de son exclusion des débats lorsque les sujets devenaient un peu chaud. Elle regrette son manque d’impact dans les textes.

Observateur pendant trois ans de cette société civile j’ai été frappé par la qualité de son travail et la richesse de ses propositions. L’excellent rapport du groupe de travail sur la gouvernance de l’Internet (WGIG) http://www.wgig.org/ est un modèle de travail multipartenaire sur place et à distance. Je pense qu’il fera date, pour les chercheurs, dan l’histoire de l’organisation des débats internationaux. Les chercheurs trouveront dans l’étude des échanges sur les nombreuses listes de diffusion http://www.wsis-cs.org/ (listes générales, liste propre à chaque groupe de travail (caucus)) matière à des articles et à des thèses. Quant à moi je reste frappé par le fait que comme toujours sur ces listes la très grande majorité des contributions viennent de quelques personnes dont on ignore souvent l’origine, la motivation.
Les conditions d’un débat démocratique sur l’Internet restent encore à définir.

Bruno Oudet (qui s’exprime ici à titre personnel)




Cet article provient de L'observatoire des Usages de l'Internet
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