Claire SCOPSI CRIS-SERIES Paris 10 Nanterre mai 2004 LInternet est-il une chance pour lAfrique ? Un fossé infranchissable ? ou selon le Président Wade, un serpent numérique dont lAfrique ne pourrait épouser les sinuosités sans la nécessaire " solidarité " de loccident. Le rattrapage technique de loccident, semble inatteignable si on le considère dun point de vue territorial économique et technique mais des voix africaines sélèvent pour revendiquer une autre approche, fondée sur lélaboration dautres modèles de développement des TIC. Lanthropologie peut contribuer à éclairer dune lueur nouvelle la question du développement numérique des pays du Sud en replaçant les Hommes au centre du débat et en recherchant dans la structure de leur organisation sociale les formes de lappropriation des technologies de la communication. Cette approche, marquée par la sociologie des usages, conduit à déduire de létude des pratiques et des discours nourris autour des TIC par les populations concernées, les indices dun modèle à développer. Elle constitue un contre-poids à lapproche qui prévaut depuis plusieurs années, présupposant quà légal de lOccident, lavenir économique des pays du Sud réside dans le déploiement des marchés des technologies et à considérer les différences déquipement et de consommation comme autant de retards à combler. Selon la formule consacrée par Chambat, lapproche des usages renvoie à la " question de savoir ce que les gens font des NTIC, plutôt quà celle de savoir ce que les NTIC font aux gens. " (Chambat, 1994, p. 46). Il résulte de cette analyse, que lAfrique présente des caractéristiques susceptibles de développer des usages numériques différents de lOccident : les usages collectifs, la constitution dun accès numérique aux savoirs africains, lexistence dune importante diaspora constituent autant de pistes qui méritent dêtre explorées. Sous cet angle, la fracture numérique napparaît une fatalité que parce quelle résulte dune superposition dun modèle occidental sur les réalités du Sud. Cest un problème technique, territorial et économique, ce nest pas un problème anthropologique. 1 - Le fossé numérique Nord Sud : une " imagerie technologique " ? Lapproche de linternet comme opportunité de développement pour le continent africain nest pas sans rappeler lun des " 7 enjeux technologiques " identifiés par Victor Scardigli (1992, p. 50). Lors des premières (5 à 10) années de mise en place, les innovations technologiques sont lobjet de sept rêves ou angoisses, productions imaginaires projetées de façon récurrente sur les diverses formes dinnovation, quelles concernent la communication, lénergie, les transports ou la santé. Michèle Descolonges (2002, p. 13) nous montre que les mêmes " vertiges technologiques " ont accompagné en leur temps les efforts de développement technologique soviétiques : " le communisme cest le pouvoir des soviets et lélectrification de tout le pays " proclamait Lénine en 1920. Or ces projections collectives jouent un rôle actif dans la diffusion des innovations. Flichy nous explique en effet quil ny a quun pas de lutopie à lidéologie : celui qui sépare le moment de la conception dune technologie de celui de sa diffusion ; la recherche dun bien commun préside aux co-constructions, aller-retour entre les attentes des usagers et linventivité des techniciens, et conduit aux ruptures des grandes innovations (Flichy, 2001). Mais le moment de lutopie na quun temps : la diffusion de lusage auprès du plus grand nombre suscite les thèmes fédérateurs, les formules percutantes susceptibles de maintenir la cohésion sociale autour de la technologie naissante, cest le moment de lidéologie. La lecture de ces théories nous engage donc à la prudence, " internet, une chance pour lAfrique ", propre à susciter les espoirs, et justifier toutes les initiatives et tous les investissements en faveur de laccès aux réseaux pourrait nêtre quune formule valise destinée à susciter lapprobation des foules. Trop éloignée de la réalité territoriale, la formule suscite en retour le découragement : lurgence est grande, mais comment combler le fossé qui sépare les pays du Sud du modèle de développement occidental sans subir la dévoration de la mondialisation ? 1.1 Les causes du " retard africain " Louvrage de Jacques Bonjawo est emblématique de la littérature de la période triomphante de la netéconomie où la litanie des bienfaits de linternet (les universités virtuelles, les radios numériques, léconomie du logiciel ) et lexemple des success-stories technologiques se doublent dexhortations à se lancer à corps perdu et sans tarder dans la voie du numérique. Mais si la question du " pourquoi " fait lobjet de nombreuses démonstrations, le " comment " et le " à quel prix " y sont moins détaillés : en cédant les opérateurs de téléphonie nationaux aux compagnies occidentales et en livrant demblée le marché africain au monopole de Microsoft, les gouvernements africains, pressés de combler le fossé quon leur désigne et incités par les modèles occidentaux, risquent de vendre hâtivement mais durablement leur économie et leurs marchés aux entreprises multinationales sans obtenir en retour deffet notable sur la pauvreté. Lanthropologue Raphaël Ntambue Tsimbulu (2001, p. 11) oppose une analyse plus méthodique et liste 27 causes de retard africain à ladoption des TIC : - 6 sont liées aux infrastructures et à léquipement (état de réseaux électriques, taux déquipement en ordinateurs
)
- 5 sont macro ou micro économiques (monopoles des opérateurs historiques, coûts des équipements et revenus des ménages
)
- 3 sont liées aux ressources humaines et à léducation
- 8 sont légales ou politiques (représentation dans la gouvernance, poids du secteur public, projet politique fort)
- 1 est climatique (les matériels, fabriqués hors Afrique, ne supportent pas les contraintes climatiques locales)
- 4 sont socio culturelles (forte culture orale, contenus inadaptés, poids des croyances populaires).
Les obstacles sont donc nombreux, mais faut-il pour autant en conclure que lAfrique doit renoncer aux technologies et se contenter des miettes dune e-économie qui lui est structurellement interdite ? Si, à linstar de Ntambue, on analyse les diverses facteurs du développement de linternet, réseaux globaux, boucles locales, matériels, logiciels, niveau de formation, et motivations dusage) on ne peut quapporter une réponse nuancée : si les infrastructures globales relèvent dune coopération internationale délicate, si la boucle locale notamment dans les zones rurales les plus isolées fait encore lobjet de nombreuses spéculations technologiques, lInde a montré que le faible coût de la main duvre constituait un atout pour la fabrication du matériel informatique, ou de logiciels. Encore faut-il que les orientations technologiques des pays soient dictées par les bonnes raisons, celles du développement endogène, et non seulement par lopportunité que représentent les aides internationales, et les programmes des ONG. Les " discours " daccompagnement des technologies ont alors leur importance : ainsi Ntambue met-il en garde les africains contre les discours qui renvoient au continent une image de pauvreté : adopter les logiciels libres est une option à étudier, non parce quils sont gratuits, ce qui signifie implicitement que lAfrique doit adopter, faute de mieux, une technologie de seconde zone, mais parce que les africains disposent de qualités intrinsèques susceptibles de leur permettre de tirer le meilleur parti du modèle libre. Une méthode émergente danalyse consiste donc, non pas à mesurer le fossé à franchir pour accéder au modèle de communication occidental, mais à construire un modèle spécifique africain reposant sur les spécificités africaines. 1.2 Lémergence dun modèle de développement spécifique Ainsi, Alain Kiyindou, souligne que " mesurer la quantité de contenus africains produits en Afrique par des africains et destinés aux africains fournit un indicateur pertinent du mode dappropriation de ces technologies. " (2003, p. 3), et suppose que laccès à une masse dinformation peut-être un leurre, si cette information ne concerne en rien linternaute africain. Il remet donc en cause les méthodes de mesure de développement des technologies, en terme de nombre de lignes ou daccès qui dissimulent lautre fracture, la " fracture par le contenu " et propose le développement de contenus proches des internautes africains, tant dans le choix des thèmes et informations traitées, que dans la langue et les expressions employées, ou les codes visuels. Pour Ken Lohento, documentaliste et chercheur, " laccès collectif sintègre facilement dans lenvironnement social africain encore caractérisé par le communautarisme " (Lohento, 2003, p. 48). Lexistence, notamment dans les grandes villes, de nombreux " PATIC " dorigine communautaire, associative, publique ou privée, constitue une solution réaliste pour " pallier les limites de laccès individuel aux TIC et favoriser leur démocratisation " (Lohento, 2003, p. 50). Sylvestre Ouédraogo, économiste et animateur de lassociation Yam Pukri daide à lintroduction des nouvelles Technologies au Burkina Faso, dénonce les " fausses fractures " provoquées par la course en avant technologique nécessitant le remplacement constant des machines, et des débits de plus en plus importants pour charger des contenus souvent inutilement alourdis (Ouédraogo, 2004) et ne manque pas de souligner linadéquation des matériels informatiques: téléphones portables trop fragiles, consommables importés, matériels difficiles à réparer : le modèle urbain occidental nest pas adapté au monde rural du continent africain. Cest dans ce contexte didentification des caractéristiques dun modèle africain, que lon peut considérer la communication diasporique comme lun des atouts spécifiques des pays du Sud. 2 Le rôle de la diaspora dans la diffusion des TIC en Afrique La notion de diaspora, initialement conçue pour désigner la communauté juive, sest aujourdhui élargie à un grand nombre de populations dispersées par lémigration économique ou lexil politique, mais entretenant, parfois au delà de plusieurs générations, le sentiment vivace dune appartenance culturelle commune, se traduisant par une solidarité économique à légard du pays dorigine et des ressortissants dispersés, et des productions culturelles diverses (cérémonies religieuses, processions, médias communautaires) manifestant publiquement lidentité revendiquée. 2.1 Des " communautés communiquantes " Lentretien du lien diasporique sopère par les " va-et-vient ", concrets ou virtuels entre le pays daccueil et le pays dorigine : voyages (lorsque la situation du migrant le permet), appels téléphoniques et transferts de marchandises. Dayan a mis en évidence le rôle des médias identitaires comme " instruments de survie pour des cultures menacées quand leur présence assure le maintien des liens entre des groupes géographiquement dispersés " (Dayan, 1997, p. 94°)°. Les migrants sont de fervents consommateurs de médias identitaires, journaux ou radios communautaires, télévisions satellitaires, et plus récemment de portails web conçus à leur intention (Marthoz, 2001). Cette offre médiatique : - leur permet de lire leur propre langue, donc daccéder plus facilement aux informations,
- leur permet de sinformer à la fois sur le pays dorigine et sur le pays daccueil,
- prend parti dans la lutte contre les discriminations,
- met en valeur les réussites ethniques, contrastant avec les stéréotypes de la presse dominante,
- propose des informations sur la naturalisation, des conseils administratifs relatifs à la situation de migrant, relaie des annonces demplois, de formation, daccès au logement adaptées,
- entretient lillusion dun pont entre les deux mondes, en affichant les publicités des société de télécommunication, des agences de voyage
,
- elle exploite les créneaux commerciaux trop étroits délaissés par la grande presse comme celui de la viande hallal, ou des mariages musulmans.
La relation des diasporas aux TIC ne se limite pas à léchange de flux de communication ou dinformation : nombre de boutiques de téléphonie des centralités immigrées parisiennes proposent des " GSM Afrique " en gros, demi-gros et détail, destinés à lexportation. Cheikh Gueye (2002) témoigne de linfluence de migrants sur léquipement de Touba, deuxième métropole sénégalaise, née du dynamisme de la diaspora des commerçants Mourides. Le matériel donné à la famille ou vendu dans les réseaux dimport, mais aussi les nouvelles exigences déquipement des migrants de retour dans la ville- sanctuaire leur solvabilité, ont contribué au développement du réseau de communication de Touba. Dans cet échange de modèles, lAfrique doit donc compter avec sa diaspora pour développer ses usages des TIC. Les entrepreneurs migrants, y contribuent comme faciliteurs dans la difficile phase démergence. 2.2 De nouveaux discours fédérateurs Mais cette émergence de pratiques ne va pas, à son tour, sans une production de discours à vocation fédératrice : - Ceux des pays dorigine des migrants, conscients de limportance des investissements de la diaspora dans le PIB national. Or ces flux financiers, sont directement liés au sentiment dattachement du migrant à son pays dorigine, il ne faut donc pas laisser les liens affectifs se distendre. Ainsi, au Maroc, les transferts dargent des RME représentent une des premières sources de devises avant le tourisme. Mais ils sont essentiellement le fait des migrants de première et deuxième générations, la troisième génération se montrant peu soucieuse dacheter des terrains ou dinvestir dans le commerce marocain. Lenjeu du ministère des RME marocain, créé en novembre 2002, est donc de maintenir vivant ce lien affectif. La création dun " site internet dédié à la communauté marocaine à létranger pour léchange de propositions et didées ", l " ouverture dune ligne verte pour orienter et informer la communauté marocaine à létranger ", des campagnes dinformation spécifiques sont donc en préparation. - Ceux des entrepreneurs, qui, parfois formés à létranger, ont choisi de revenir créer leur entreprise en Afrique. Soft Tribe, société de programmation informatique ghanéenne, créée en 1991 par Herman Chinery-Hesse, ingénieur ghanéen formé au Texas, produit une suite de logiciels de gestion et comptabilité destinée aux petites et moyennes entreprises et adaptée aux contraintes déquipement du marché africain : plus " léger " et plus simple que les produits Microsoft, elle est tolérante aux coupures délectricité. Les logiciels de Soft sont leader sur le marché Ghanéen et exportent dans plusieurs pays africains. Le fondateur de Soft, surnommé le " Bill Gates du Ghana ", et son associé, léconomiste Joe Jackson, contribuent activement à la réflexion de leur pays sur le développement des investissements et de la propriété intellectuelle. La CATI à Dakar assemble des PC au normes internationales destinés au marché africain et à lexportation. Selon sa présidente Viviane Dièye, revenue fonder une entreprise au Sénégal sur des capitaux britanniques, à trente ans, après avoir fait ses études en France, les atouts des technologies en Afrique résident dans lexistence dune main duvre peu chère mais détentrice dun réel savoir -faire. Même si elles représentent encore des cas isolés, ces success-stories sont la preuve que revenir investir et réussir en Afrique est une option possible pour les migrants, et agissent puissamment sur les imaginations. Elles sont racontées et commentées sur les portails de la diaspora africaine. - Ceux du petit entrepreneuriat migrant , parfois désigné sous le vocable de " mondialisation par le bas ", dont sont issus les créateurs et gérants des boutiques " de Château-Rouge. " Ces nouveaux mondes de la migration produisent du " mixte ", du mélange, une singulière aptitude aussi à être simultanément dici et de là-bas. Ils renouvellent les cosmopolitismes là où lEtat, féroce gardien des sédentarités citoyennes, ne les attend pas : dans des territoires qui lui échappent et quil ne sait pas gérer. " (Tarrius, 2002, p. 157). Lexistence de ces entrepreneurs repose sur un certain nombre de phénomènes : - La différence de niveau de vie entre un
pays et un autre, permettant dans lun, de dégager une somme modique, représentant, dans lautre, un capital suffisant pour la création et lentretien dune activité. - La différence de mode de consommation entre deux pays, permettant de récupérer dans lun des objets nayant plus de valeur marchande (occasion, rebut) pour le commercialiser dans le pays où ces objets trouvent un marché.
- La différence démergence ou de maturation des marchés de deux pays, liés aux différences dintroduction des technologies ou à la situation réglementaire.
- Lexistence dun lien identitaire entre certaines populations résidant dans deux pays permettant de maintenir un marché de communication.
Sur les enseignes des téléboutiques, le slogan cent fois répété "communiquer avec le monde entier ", témoigne de la volonté de ces " petits patrons " dancrer leur activité non sur limage du migrant nostalgique, relié par la pensée à sa mère patrie, mais sur celle du migrant dynamique, revendiquant sa multiappartenance territoriale, et la transformant en " ressource territoriale ". Le propre des discours fédérateurs nest pas de refléter la réalité, mais dêtre crus et dexhiber des modèles capables dagir sur limaginaire avec assez de force pour susciter limitation. Cest pourquoi, en marge des travaux techniques et économiques, il nest pas inutile de suivre la progression de ces discours et leur réception dans le milieux africains. 3- La vitalité des TIC dans les quartiers migrants lexemple de Château-Rouge. Limportance des usages diasporiques des télécommunications est visible dans lespace marchand des quartiers dimmigration des métropoles occidentales. Le quartier de " Château-Rouge ", dans le XVIIIè arrondissement Parisien, compte 16 % détrangers notamment issus dAfrique sub-saharienne et du Maghreb, mais est surtout célèbre pour avoir développé depuis une quinzaine dannées une zone de commerce exotique, parfois appelée " le marché Africain " qui attire chaque fin de semaine plusieurs dizaines de milliers de chalands. Cette zone commerciale présente, parmi les boucheries Hallal, les commerces de fruits et légumes tropicaux et les boutiques de wax, une concentration exceptionnelle de boutiques proposant de mutiples modes daccès aux réseaux télécommunications 3.1 Un modèle daccès aux télécommunications emprunté au Sud En 1996, conséquence de la dérégulation des télécom, se sont ouvertes les premières boutiques de téléphonie. En 2001 sorganisaient les premiers lieux daccès à linternet, souvent associés à la téléphonie publique. La création des premières boutiques offrant des accès au réseau internet, a suivi de quelques années celle de leurs homologues des villes africaines, proposant, comme elles, un ensemble de services : photocopies, scannage, photographie, fax en émission et réception. En 2003 et 2004 boutiques de téléphonie internationale, commerces de cartes téléphoniques prépayées, cyberboutiques, commerces daccessoires de téléphonie mobile continuent de se multiplier. Cest donc le modèle collectif du Sud qui sest propagé et offre à la population migrante comme aux riverains français les premiers accès publics à internet de ce quartier excentré qui na pas connu la vague de création des cybercafés " branchés " de 1996 et dont le premier Espace Public Numérique associatif na ouvert quen 2001. Ce " modèle du Sud " présente certaines caractéristiques spécifiques qui distinguent nettement ces " boutiques de communication " des quartiers migrants des premiers cybercafés ou des Espaces Publics Numériques (EPN), labellisés depuis 1998 dans le cadre du PAGSI (Programme d'Action du Gouvernement pour la Société de l'information), et qui constituent une offre de lieux daccès collectifs à linternet destinés à lutter contre la fracture numérique : - Contrairement aux EPN , les " boutiques de communication " relèvent exclusivement de léconomie marchande, et proposent des services payants. Elles peuvent néanmoins simplanter dans des zones dhabitat dégradé, dans lesquels les commerces fermaient ou périclitaient . - Elles ne sont généralement pas centrées sur une seule technologie (linternet ou la téléphonie) mais combinent les différents accès (fax, téléphone facturé à la durée, cartes de forfaits dappels, internet) pour offrir une gamme de services de communication. Le développement des accès publics à internet de Château-Rouge sest effectué dans le sillage et en complément de la téléphonie internationale, et non pas, comme ce fut la cas pour les cybercafés, sous linfluence de la netéconomie. - Il nest pas rare que lactivité de télécommunication soit associée à une autre activité commerciale : salon de coiffure, commerce de tissus, commercialisation dobjets importés, de cassettes vidéos indiennes ou africaines, bazars
En revanche, lassociation café / télécommunications nest jamais observée. 3.2 Des bouquets de services destinés aux migrants Dautres caractéristiques sont plus directement liées à la situation de la clientèle, souvent issue de limmigration : - Limplantation des " boutiques de communication " épouse étroitement les zones de commerce ethnique dans lesquelles les commerçants jouent sur lorigine réelle ou supposée dun produit pour attirer la clientèle immigrée. Lorsque lon quitte ces zones de commerce ethnique, les téléboutiques et les points daccès à internet se raréfient. Seuls les commerces de téléphones portables sont représentés dans les autres zones de commerce du XVIIIè arrondissement. Les " boutiques de communication " apparaissent donc comme étroitement liées aux centralités immigrées marchandes. Bien que les services de télécommunication soient issus de lactivité des multinationales, le modèle daccès collectif leur confère un caractère familier pour les migrants africains. - Des services adaptés aux migrants sont proposés par les gérants de ces boutiques en complément de lactivité de communication : traductions en diverses langues, aide à la rédaction de mail ou dactes administratifs, assurances, " aide aux familles ". Leur implantation, à proximité de services de fret, ou dagences de voyages renforce lattrait du quartier qui propose désormais une gamme variée de services répondant aux attentes des immigrés (Scopsi, 2003). - Les arguments de vente prennent en compte les caractéristiques culturelles des clients : il existe donc des tarifs " spécial Ramadan ", ou " spécial Aïd " pour les cartes de forfaits téléphoniques. Ils témoignent que lappel à la famille est associé aux cérémonies religieuses ou familiales. Les cabines téléphoniques internationales, les téléphones mobiles, les accès publics à linternet sinscrivent dans une continuité dusages migrants. Comme la souligné Abdelmalek Sayad, chaque étape de lévolution des technologies et moyens de communication a produit dans les milieux migrants " un ensemble dinstruments qui forment système : messages oraux, (et parfois écrits) confiés à des intermédiaires quon charge de les porter à leurs destinataires, lettres acheminées par la poste, et, la dernière de tous, le message enregistré sur une cassette de magnétophone " (Sayad, 1991(1985), p. 145). Les usages que nous observons actuellement sinscrivent donc dans une continuité. Mais la pratique du téléphone ou du mail ne remplace pas complètement celle de la lettre ou de la cassette audio. Les nouvelles technologies se combinent avec des pratiques plus anciennes, qui persistent parce que leur usage est familier et plus facile, parce que les interlocuteurs ne disposent pas des technologies les plus récentes, ou parce que certaines pratiques saccompagnent dune solennité dont on ne souhaite ou ne peut pas saffranchir : cest ainsi quun migrant peut recevoir un appel sur son téléphone portable lui enjoignant de se rendre en un lieu où lui sera délivré un message. Les pratiques ritualisées de remise, en présence de public, dun message, oral ou écrit, par un messager, décrites par Sayad en 1985 nont donc pas disparu. Ces pratiques multiples, souvent difficiles à estimer (il nexiste pas, à proprement parler de chiffres de fréquentation des téléboutiques), et indécelables dans les taux déquipement, structurent le marché des télécommunications des pays dorigine des migrants : on constate cependant que les télécommunications des pays africains sont marquées par des flux entrants plus importants que les flux sortants, car les migrants prennent plus fréquemment en charge le coût dappel ; de même, en Afrique, de nombreux téléphones portables ne sont utilisés quen réception. Conclusion : la nécessaire prise en compte des discours de la diaspora Les pratiques et les discours de la diaspora doivent donc être prises en compte si lon veut mieux comprendre la nature des communications du Sud. Mais ils comptent aussi dans la compréhension de la société française. Car la multiplication des communications diasporiques ne modifiera pas seulement le paysage télécommunicationnel africain : il pose la question des formes que prendront dans un futur proche, les migrations et les sentiments dappartenance territoriale et culturelle. Les portails dinformation africains, généralistes, économiques ou spécialisés dans les technologies de linformation, constituent à cet égard des médias intéressants : offrant des articles traitant de sujets proches de leur lectorat africain, ils réunissent souvent (et de plus en plus lorsque les infrastructures permettront une meilleure consultation du web en Afrique) africains dAfrique et de la diaspora dans leurs rubriques " forum " ou " maling list " où, parfois, les jeunes candidats à lémigration cherchent des conseils pratiques. Lélaboration dune méthode danalyse appropriée à ces nouveaux médias, susceptibles de disparaître du jour au lendemain, sans laisser darchives, et posant plus que dautres le problème de la limite de la correspondance privée et de lexpression publique, constitue une piste intéressante pour une meilleure connaissance des ressorts collectifs du développement des TIC au Sud. BONJAWO, Jacques. 2002. Internet une chance pour lAfrique, Karthala, Paris Chambat, Pierre. 1994. " NTIC et représentations des usagers "dans /Vitalis, André (Dir.), Medias et nouvelles technologies : pour une socio-politique des usages, Apogée, Rennes, p.45-59
Dayan, Daniel. 1997 " Medias et diasporas ", Les Cahiers de Médiologie, n°3, p. 91-97
Descolonges, Michèle. 2002. Vertiges technologiques, La Dispute, Paris
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Cheikh Gueye.mai2002. " Enjeux et rôles des NTIC dans les mutations urbaines : le cas de Touba : Document préparé pour le projet de l'UNSRID" Les nouvelles technologies de l'information et de la communication et le développement social au Sénégal " Kiyindou, Alain.2003. La place des contenus africains sur internet ou penser la " fracture numérique " par le contenu.-(Hourtin :Colloque Africanti " les fractures numériques Nord-Sud en question, quels enjeux, quels partenariats ? : 25-29 Août 2003) Lohento, Ken. 2003. Usages des NTIC et médiation des savoirs en milieu rural africain : études de cas au Bénin et au Mali. Mémoire de DEA : Paris 10 Marthoz, Jean-Paul. 2001. " Medias et "va-et-vient" communicationnel des diasporas "dans Institut Panos Paris, D'un Voyage à l'autre : des voix de l'immigration pour un développement pluriel Karthala, Paris, p. 189-205
Ntambue Tsimbulu, Raphaël. 2001. L'Internet, son web et son E-mail en Afrique : approche critique, L'Harmattan, Paris (Etudes africaines) Ouédraogo, Sylvestre. 2004. LOrdinateur et le Djembé : entre rêves et réalités, lHarmattan, Paris Sayad, Abdelmalek. Septembre 1985. " Du Message oral au message sur cassette : la communication avec l'absent ", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°59, p. 61-73
Scardigli, Victor. 1992. Le Sens de la technique.PUF, Paris (Sociologie d'aujourd'hui)
Scopsi, Claire. 2003. " Commerce ethnique et nouvelles technologies à Barbès : émergence dun nouveau commerce ", Sciences de la Société, n°59, p.69-83 Tarrius, Alain. 2002. La Mondialisation par le bas : les nouveaux nomades de l'économie souterraine, Balland, Paris (Voix et Regards)
Ressource électronique : Site du projet CEAN/CNRS Africanti : www.africanti.org
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