Evaluation d’un projet multimédia et de ses usages sociaux : le cas des " Webtrotteurs des quartiers " à Marseille.

Date:  26 Nov 2003
Section: Analyse d'Usages sociaux de l'internet

Titre

Evaluation d’un projet multimédia et de ses usages sociaux : le cas des " Webtrotteurs des quartiers " à Marseille.

Auteur : Boriana Popova, Iva Baytcheva

Type de document : Mémoire de maîtrise, Article résumant le mémoire suivi de la possibilité de le télécharger

Direction de recherche : Eric Auziol

Organisme : Université Paul Valéry à Montpellier, département d'Information et Communication

Date de publication : juillet 2003

Commentaire de l'OUI : ce travail fait dans le cadre d'une maîtrise sur une période de temps d'environ 6 mois a le mérite de porter sur les effets du projet webtrotteurs dans un des lieux où il s'est développé un regard extérieur, de poser un certain nombre de questions, d'esquisser un certain nombre de réponses. Il ne s'agit pas d'une évaluation complète des résultats du projet dans son ensemble.

Résumé :

L’idée du présent article est liée à la réalisation de notre mémoire de fin d’études³, mais également à notre collaboration avec l’Observatoire des Usages d’Internet qui est le commanditaire de l’évaluation effectuée.

Notre objectif premier est l’étude des résultats en termes d’usages du projet " Webtrotteurs des quartiers " dans sa mise en œuvre à Marseille. Ce projet est intéressant et ambitieux et donne du sens à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour les jeunes de quartiers populaires.

 

Le projet " Webtrotteurs des quartiers " est une opération non-marchande, subventionnée essentiellement par l’argent public et qui s’intéresse à l’utilisation des NTIC comme outil pédagogique de sensibilisation et de socialisation des jeunes des quartiers populaires, âgés de 15 à 25 ans.

En 1997, l’association Initial lance le projet et les jeunes ont rapidement adoptés le rôle du journaliste amateur. Le concept même, a été emprunté aux journalistes de Radio France qui voyaient dans l’idée du web-reportage la naissance d’un nouveau métier. Il s’agissait de donner des informations complémentaires sur un événement (photos, liens), consultables sur le site de la radio sous la forme d’un dossier. Cette possibilité de compléter des données de l’actualité offre aux auditeurs l’avantage de s’informer eux-mêmes et de compléter son information pour mieux interpréter l’actualité.

Pour les jeunes de Marseille, la plate-forme virtuelle " Webtrotteurs des quartiers ", leur permettait de " publier " leur reportages sur un événement précis et de consulter les réalisations de leurs camarades. Après quelques saisons de travail actif et de couverture d’importants événements (le printemps de Bourges, festival d’Avignon etc.), l’opération a connu un fort succès auprès des médias et des institutions locales et nationales et le concept des webtrotteurs s’est aujourd’hui développé dans plus de 15 villes en France.

Le succès du projet s’explique par le fait que les jeunes acquièrent des compétences et des connaissances tout en faisant un travail ludique en dehors du cadre et des normes scolaires. L’apprentissage de l’utilisation de l’ordinateur et des logiciels les aident à mettre en ligne des photos et des articles qu’ils écrivent en groupe, mais encore à sortir de leur quartier et de leurs occupations habituelles et surtout à élargir leur horizon culturel (théâtre, course de bateaux, danse, vie de quartier etc.) sans pour autant être contraints à des obligations plus strictes comme celles de l’école.

Après avoir fait ses preuves comme un excellent outil pédagogique auprès des jeunes, le concept s’est exporté hors de France. Le Québec et la Belgique ont déjà formé leurs premiers groupes et les jeunes se sont vivement intéressés à cette expérience. Initial cherche aussi à transmettre son savoir dans les pays du Sud  : apprendre aux jeunes du Sénégal, du Maroc et même des Comores à se servir d’un ordinateur, les initier aux services offerts par l’Internet.

Afin de mieux présenter notre travail, nous allons tout d’abord décrire les usages sociaux qui découlent du projet, ainsi que le rôle de l’Observatoire des usages d’Internet et du projet AUSSI dans la poursuite de cette étude. Nous allons également développer une partie concernant la méthodologie utilisée dans ce travail d’évaluation, ainsi que les résultats que nous avons obtenus. En conclusion, nous ferons le bilan de cette étude , en particulier à l’intention de ceux qui choisiraient d’approfondir le même sujet.

 

Fiche de description des usages sociaux du projet

" Webtrotteurs des quartiers ".

 

Une pratique devient un usage lorsqu’elle se diffuse dans un milieu donné et devient habituelle. La fiche comprend quatre questions qui caractérisent une pratique ou un usage de l’Internet : Quoi ?, Qui ?, Pourquoi ?, Comment ?

 

Quoi ?

Désignation de l’usage Réalisation d’un reportage sur un événement.

Domaine Information, média, NTIC, journalisme, pédagogie.Description de l’usage Les jeunes webtrotteurs vont sur le terrain de l’événement, couvrent l’actualité (prennent des photos, interviewent des personnes, s’informent sur la nature et le but de cet événement, afin de pouvoir réaliser un reportage et le mettre en ligne. L'opération a pour objectif d’initier les jeunes et les animateurs des structures relais aux technologies de l'information et de la communication par la pratique du reportage multimédia. S'inspirant de leurs aînés de la rédaction multimédia de Radio France, les webtrotteurs couvrent des événements culturels, traitent des sujets d'actualité, ou mènent l'enquête sur des phénomènes de société. Tous leurs reportages sont mis en ligne sur le site du réseau www.webtrotteurs-quartiers.org. Pour permettre au réseau de s'agrandir, Initial propose une formation de 5 jours à la conduite dŽun atelier "webtrotteurs des quartiers" destinée aux animateurs des structures dŽaccueil intéressées.

Qui ?

Usagers Les usagers sont des jeunes, âgés entre 15 et 25 ans, des quartiers populaires de Marseille qui souhaitent s’inscrire dans un atelier offert la plupart du temps par la structure sociale de leur quartier.

Organisation concernée
Initial

12, rue du Coq

MARSEILLEInitial est une association qui a pur but de développer l’accès et les usages des TIC en milieu social urbain. Elle a pris l'initiative d'apporter un complément multimédia à la lutte contre les problèmes d'analphabétisme et d'illettrisme. Le multimédia permet en effet, grâce à ses nombreuses possibilités, de relier l'écrit à une réalité quotidienne, et familiarise un public défavorisé à une démarche d'alphabétisation.

Contact Béatrice Goudard

 

Pourquoi ?

Objectifs recherchés Permettre aux jeunes d’apprendre l’outil multimédia, de les intéresser à des événements culturels et sociaux, de les sociabiliser et d’élargir leur horizon culturel.

Evaluation des résultats Avantages : amélioration de l’expression écrite et orale, se valoriser auprès de soi et des autres, apprendre comment utiliser un ordinateur et ses programmes, s’avoir s’intégrer dans un groupe et travailler en équipe, se socialiser, créer plus facilement des contacts humains…

Inconvénients : coût très élevé de l’opération, difficulté de transmettre le savoir, certains animateurs sans motivation, structures sociales indisponibles….

Comment ?

Phase de préparation Les jeunes sont prévenus de l’événement qu’ils devront couvrir. Ils forment un groupe et s’informent sur le sujet.

Phase de réalisation Les Webtrotteurs réalisent les interviews, prennent des photos et partagent le travail de rédaction de l’article sur l’événement couvert.

Phase d’exploitation L’article rédigé et les photos réalisées sont mis en ligne ultérieure pour que les autres Webtrotteurs puissent les consulter.

Ressources engagées Un animateur des ateliers Webtrotteurs pour coordonner et former les jeunes. Un endroit pour réaliser les réunions hebdomadaires, ainsi qu’une connexion Internet, des ordinateurs, des appareils photo-numériques, mini-disc…

Bilan économique Budget qui prévoit le coût de la connexion Internet et le salaire de l’animateur. Un investissement important au départ doit être prévu pour couvrir les frais du matériel, indispensable pour la réalisation des reportages.

 

Le projet Aussi et l’OUI

Etant donné que notre travail est lié à une commande réelle, nous aborderons dans le présent article des théories et des concepts susceptibles de répondre à la demande faite par l’O.U.I. dans le cadre du projet AUSSI (Analyse des Usages sociaux de l’Internet).

Le but général du projet AUSSI est d’étudier des usages¹ d’Internet à plus value sociale, afin d’en tirer des enseignements pour le futur et ainsi de contribuer à une plus grande maîtrise du développement de ce type d’usages sur Internet.

Le projet " Webtrotteurs des quartiers " est l’une des trois thématiques d’usages de l’Internet, retenue par le projet AUSSI en concertation avec la Fondation France Télécom ². Il s’agit d’une thématique d’insertion sociale de jeunes de quartiers populaires et l’initiation de ces derniers aux nouvelles technologies, au Web reportage, au journalisme amateur.

Les questions que nous nous sommes posées en tant que chercheurs dans le cadre du projet AUSSI, concernent surtout les usages résultants du projet " Webtrotteurs des quartiers ", leur diffusion auprès du public et l’efficacité réelle de ces usages par rapport aux objectifs annoncés initialement par les porteurs du projet (l’association Initial). Les questions posées peuvent être résumées ainsi :

  • Conformité au projet : Les usages résultant du projet sont-ils ceux qui étaient prévus au lancement du projet ? Existe-t-il des usages imprévus ? Vont-ils dans le sens des intentions du projet ? –

  • Analyse des processus : La diffusion de ces usages au public cible se déroule-t-elle comme prévu ? Peut-on déceler des facteurs moteurs ou freins non anticipés ? –

  • Généralisation des résultats : Leur diffusion à d’autres publics est-elle souhaitable ? Doit-elle être encouragée et organisée ? –

 


1- pour l’OUI et ses chercheurs le concept d’ "usage " de l’Internet relève de la " mise en œuvre habituelle d’un processus humain autour de l’utilisation, non exclusive, de l’Internet " et non de la consommation de la ressource Internet " ;

2 - le projet AUSSI a obtenu le soutien de la Fondation France Télécom (axe Net-solidaire).

 

Finalement, la problématique de notre étude, pourrait être formulée ainsi : 

Le web reportage est-il un outil favorisant la socialisation des jeunes et comment la participation à cette expérience a-t-elle influencé leur vie ?

 

Le travail réalisé a pour but de mettre en évidence les écarts éventuels entre les usages effectifs et les usages escomptés par le porteur de projet, mais également de mesurer l’impact social réel du projet. Par ailleurs, le projet AUSSI vise également la construction d’une base d’usages sociaux de l’Internet et des technologies de l’information et de la communication, en analysant les usages résultant de projets récents.Cette base d’usages sociaux d’Internet et des TIC permettra :

  • Une meilleure connaissance des conditions de succès (ou des risques d’échec) d’un projet de création d’usage à plus value sociale ;

  • L’élaboration d’indicateurs permettant d’évaluer des actions pilotes à soutenir et d’effectuer des choix ;

  • La constitution d’une base d’usages sociaux de l’Internet pouvant servir d’exemples lors d’actions de sensibilisation auprès des publics, des financeurs et des décideurs dans le but de promouvoir la création de ce type d’usages.

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Ainsi l’évaluation réalisée a pour objectif d’obtenir des résultats au niveau du projet étudiée – " Webtrotteurs des quartiers ", au niveau de l’ensemble des usages analysés et au niveau de projets Internet à plus value sociale.

 

La méthodologie utilisée

L’approche méthodologique appliquée à l’évaluation réalisée consiste à: s’informer sur le projet, définir les " intentions d’évaluation " et les objectifs de l’évaluation, choisir les référentiels correspondant, définir les champs d’évaluation, choisir les " confrontations " répondant aux attentes d’évaluation, présenter les résultats ou encore les interpréter. Par ailleurs, nous avons jugé judicieuse l’application de nos connaissances en communication, notamment l’approche communicationnelle (théorie systémique et théorie sémio-contextuelle) qui complète le modèle d’évaluation. Ce choix s’est imposé puisque les deux théories démontrent les relations entre les différents acteurs et les enjeux qui les conduiront à communiquer d’une manière précise.

Il est nécessaire de préciser notre position personnelle et de donner plus d’explications concernant le choix de la méthodologie appliquée au travail réalisé.

Le projet AUSSI vise une analyse quantitative et qualitative de chaque usage et de chaque catégorie d’usages d’un projet donné. Il est important de souligner que la recherche accomplie pour conduire notre étude est une recherche qualitative. Il s’agit d’un effort particulier de réflexion épistémologique fait par tout chercheur en Sciences Humaines. Notre recherche a été menée selon une approche qualitative, dont le modèle de référence est " empirico-inductif ", consistant à partir de l’expérience de terrain pour construire une hypothèse.

La complexité du projet étudié, le nombre important d’acteurs qui participent à cette opération et le temps limité de notre recherche, nous ont amené à choisir deux catégories particulières d’acteurs et des ateliers Webtrotteurs uniquement sur Marseille. Il s’agit de l’initiateur et porteur du projet – l’association Initial et du public cible du projet que nous appelons porteurs directs des usages qui découlent du projet étudié, c’est-à-dire les jeunes des quartiers populaires.

Nous devons noter que le choix de ces deux types d’acteurs se justifie par le fait qu’ils jouent le rôle de ressource principale pour recueillir des informations sur l’ensemble du projet.

Afin d’effectuer l’évaluation du projet " Webtrotteurs des quartiers " et des usages qui en découlent, nous nous sommes appuyées sur le modèle conceptuel pour l’évaluation d’un dispositif proposé par Eric Auziol ¹ et sur les travaux de Marc-Henry Broch et Françoise Cros².

Il s’agit d’un modèle conceptuel d’évaluation de dispositif de manière générale qui s’applique parfaitement à un dispositif multimédia et au projet étudié. Cros et Broch considèrent l’évaluation du projet comme " …un acte méthodologique qui nécessite des compétences dans l’élaboration et l’utilisation d’instruments pertinents dans un ensemble cohérent de procédures et de processus… " ou encore comme un " …acte stratégique qui s’inscrit dans une relation entre le commanditaire et les actions du projet… " .

L’acte d’évaluation comprend trois types d’opérations articulées et indépendantes l’une de l’autre : la production d’un référant, la construction du référé et l’énonciation d’un jugement d’évaluation .

La production d’un référant d’évaluation, ou autrement dit : " ce en fonction de quoi on évalue " : Cros et Broch appellent " référant pour l’évaluation de projet " toute prescription inscrite au projet, choisie en vue de sa confrontation avec la réalité de sa mise en application.

La construction du référé : " ce à partir de quoi on évalue ". Hadji désigne par le terme " référé ", l’ensemble des observables à travers lesquels un réel est saisi et l’ensemble d’éléments jugés représentatifs d’un objet.

Le référé est produit en fonction du référant. Sa construction consiste à choisir les moyens de faire naître l’information concernant le dispositif et son fonctionnement.

Les différents moyens pour faire surgir cette information sont : les observations, les enquêtes par questionnaires et entretiens, l’analyse documentaire, le suivi d’indicateurs (l’indicateur correspond aux critères précisés par le référant).

 


1 - Eric Auziol – Maître de conférences, université Montpellier III, Département –Sciences de l’Information et de la Communication ;

2 - Marc-Henry Broch ; Françoise Cros – Evaluer le projet de notre organisation, Chronique Sociale, 1992

L’énonciation d’un jugement d’évaluation : " ce que le dispositif vaut " : toute évaluation débouche sur l’énonciation d’un jugement, c’est-à-dire, l’évaluateur se trouve dans l’obligation de prendre partie et de formuler ce que vaut réellement le dispositif au regard du référant. Le jugement se produit à partir d’une échelle de valeurs.

Pour réaliser l’évaluation du projet " Webtrotteurs des quartiers ", nous nous sommes appuyées sur le modèle conceptuel d’évaluation d’un dispositif multimédia, qui comprend une modélisation systémique de l’objet évalué et une description complète du dispositif. Ainsi nous avons essayé de prendre en considération tous les éléments pertinents du dispositif en question : les objectifs généraux, le contenu, le public, les formateurs (les animateurs), le dispositif technique (les moyens), le calendrier, les concepts, les résultats, les partenaires et l’institution conceptrice du projet. Bien évidemment, tous les éléments sont porteurs d’information, mais la variable la plus susceptible de fournir une information particulièrement riche et intéressante sur toutes les autres variables, c’est le public. Dans cette perspective, notre ressource principale pour le recueil de l’information est le public, mais pour autant, nous avons tâché de ne pas " négliger " les autres éléments. En réalité, toutes les composantes prises ensemble constituent notre centre d’intérêt en tant qu’évaluateurs.

L’évaluation de projet considère à titre d’hypothèse de départ la validité de la norme posée par le projet lui-même (les prescriptions du projet servent de norme à son évaluation). Par ailleurs, l’évaluation du projet s’effectue en deux temps : premièrement – congruence des actions au regard des prescriptions et deuxièmement – diagnostic : recherche des raisons pour lesquelles ce qui est réalisé diffère de ce qui était prévu.

Une fois que les écarts entre ce qui était prévu et la réalité sont mis en évidence, nous pouvons finaliser et interpréter les résultats.

Pour arriver à ce stade, une bonne compréhension du projet est indispensable. Cette bonne compréhension du projet nécessite le recours à des méthodes d’analyse particulières.

En s’inscrivant dans ce cadre de pensée, l’étude
proposée fait appel à l’analyse systémique et à la théorie sémio- contextuelle. Les deux théories se complètent bien ensemble et nous permettront d’avoir un panorama suffisamment large du système étudié et des communications auxquelles il donne lieu. Les analyses apporteront une meilleure compréhension du projet et une plus grande clarté sur les modalités de fonctionnement.

Enfin, l’évaluation (ou plus précisément l’énonciation du jugement), les hypothèses faites suite aux analyses systémique et sémio-contextuelle, nous permettront d’articuler les résultats obtenus et de saisir le vrai sens du projet.

Le sens du projet

Il est nécessaire de préciser, que les constats que nous énonçons suite à l’évaluation réalisée, ne prétendent pas être valables pour tout le réseau " Webtrotteurs des quartiers ". Les résultats obtenus concernent la ville de Marseille et les ateliers Webtrotteurs dans cette ville où nous avons conduit cette étude.

Comme " faiblesses " du projet nous relevons le côté élitiste de l’opération¹ ; par ailleurs le projet est très coûteux en moyens techniques et surtout humains. Un groupe de 4 ou 5 jeunes est encadré par un animateur et dans la plupart des cas le groupe formé a fonctionné pendant une période courte. Il permet à quelques jeunes des quartiers de " franchir le fossé numérique " mais ne semble pas avoir un effet de levier par rapport à une population plus large, la famille, les amis la population du quartier. Nous avons même rencontré un groupe de webtrotteurs qui " dissuadait " d’autres jeunes de les rejoindre pour maintenir leur propre position privilégiée.

Les connaissances demandées aux animateurs dépassent largement les compétences d’une personne exerçant le métier d’animateur au sein des structures sociales. Le fait de travailler avec un dispositif multimédia peu connu (formation de seulement 5 jours) a également pu démotiver les animateurs qui trouvant plusieurs contraintes ont dû laisser l’activité sans poursuite.

Dans cette optique nous pensons que l’institution a placé la barre très haut et s’est fixée des objectifs pas nécessairement bien adaptés aux lieux de proximité, aux moyens dont ils disposent et aux spécificités du public cible. Il s’agit de jeunes ayant très peu de notions en informatique : donc, espérer le déclenchement de pratiques régulières d’usages des TIC, sans


1- Selon les chiffres communiquées par Initial, seulement 250 jeunes dans 15 villes en France et sur 3 ans d’activités du projet ont pu bénéficier des opportunités qu’il offre.

pour autant disposer de matériel technique personnel pour s’exercer chez eux, nous semble utopique.

Par ailleurs, nous estimons que le projet a aussi trop compté sur le contexte politique favorable de l’époque, le rendant dépendant d’un changement gouvernemental.

La constatation de toutes ces " faiblesses " du projet, a une importance et joue un rôle considérable pour son évaluation en terme d’usages. Bien que certains des objectifs du projet, n’ont été que partiellement atteints, le projet a permis à de jeunes Webtrotteurs de progresser et d’acquérir une expérience humaine et personnelle. Dans le domaine psychoaffectif, cette expérience personnelle constitue une valeur ajoutée par rapport aux objectifs initialement formulés pour le projet.

Cette expérience personnelle comprend plusieurs aspects. Un de ces aspects est l’ouverture d’horizon culturel et la découverte de différents domaines de la vie courante (danse, théâtre, vie de quartier etc.). Ainsi, la découverte les initie à s’intéresser à d’autres univers que celui qu’ils connaissaient avant leur participation à des ateliers Webtrotteurs.

D’autre part, les activités pratiquées dans les ateliers, permettent aux jeunes de s’adapter au travail d’équipe, d’être tolérants vis à vis des opinions des autres, de respecter le travail de leurs collègues ou encore de devenir responsables.

L’évolution personnelle se retrouve dans l’amélioration du travail des jeunes à l’école, et l’amélioration de leur expression écrite et orale. Aujourd’hui ils expriment ce qu’ils pensent beaucoup plus facilement et arrivent à mieux structurer leurs discours ; échanger avec des personnes de différents milieux et différents statuts sociaux- professionnels n’est plus une barrière et une difficulté pour les Webtrotteurs. De plus, ils sont plus rassurés dans le contact humain.

Par ailleurs, les activités Webtrotteurs et le travail sur le terrain aident les jeunes à développer un esprit critique par rapport à leur propre milieu et leur entourage.

En bref, tous ces éléments interagissent entre eux et entraînent une forte amélioration de la confiance et de la valorisation de soi. Autrement dit, les activités Webtrotteurs apportent aux jeunes beaucoup plus de confiance en eux et en leurs qualités, mais également une certaine fierté et popularité auprès de leur entourage.

Le Web reportage ( et toutes les activités autour de la production d’un Web reportage), peut être considérer comme un outil favorisant la socialisation des jeunes des quartiers populaires et bien évidemment, la participation de ces jeunes à des ateliers Webtrotteurs a influencé leur parcours scolaire, et leur vie quotidienne d’une manière positive.

Le projet a fait comprendre aux jeunes participants (jeunes de quartiers populaires) qu’ils ne sont pas exclus de la société de l’information, des TIC et qu’on (des associations comme Initial, les animateurs, les lieux de proximité…) leur donne la possibilité d’accéder à cet univers inconnu et étranger pour eux. Le projet " Webtrotteurs des quartiers " a permis aux jeunes y participant de comprendre que l’accès à cet univers dépend de leur motivation et de leur intérêt. Si l’accès aux TIC est assuré par les lieux porteurs du projet, les Webtrotteurs ont désormais la possibilité d’en faire l’usage de leur choix.

Etant donné les particularités du public et le fait qu’il avait une très faible connaissance de l’Internet et de ses usages avant la participation au projet, l’un des plus grands mérites des jeunes est leur facilité d’adaptation au dispositif, au terrain, aux activités elles-mêmes. Même s’il s’agit de connaissances basiques et d’une découverte des pratiques multimédia, les Webtrotteurs sont dans la capacité de manipuler le dispositif, de réaliser des reportages et de les mettre par la suite en ligne. En bref, ils accomplissent sans difficultés particulières le travail de journalistes-amateurs.

Tous ces effets observés font grandir et mûrir les jeunes beaucoup plus rapidement par rapport aux autres jeunes de leur âge. Ils deviennent plus autonomes dans plusieurs domaines ; l’expérience Webtrotteurs leur apporte un vécu important qui contribuera sans doute à leur avenir.

Toutefois, les relations de dépendances entre les différents acteurs, que nous avons démontrées grâce à l’analyse systémique, nous laissent supposer qu’il est fort possible, suite à un changement fondamental des objectifs, de constater une rupture du système étudié du fait du tarissement des subvention et de l’aide des partenaires, d’un désintérêt de la part des lieux de proximité, , de la part du public ou autres.

Néanmoins le projet émerge en plein développement d’Internet et réussit à survivre à l’éclatement de la bulle internet. Cette situation particulière illustre que nous ne pouvons pas prédire de quelle façon le projet évoluera suite à d’éventuels bouleversements du milieu des TIC.

En
mettant en évidence toutes ces hypothèses, nous constatons que même si le projet rencontre des obstacles importants qui le mettent en péril, à fortiori, le concept du " web-reportage " perdurera et existera sous une forme ou une autre, grâce à sa pertinence et à l’accent qu’il met sur le côté humain (sensibilisation et accompagnement des jeunes).

Ainsi, nous avons essayé de répondre aux questions posées dans le cadre du projet AUSSI, en prenant en considération : les usages conformes au projet, l’analyse de processus ou encore une généralisation des résultats.

Aujourd’hui, étant donné les constats énoncés nous pouvons affirmer qu’une diffusion des usages du public cible (constat valable au moins pour la plus grande partie de ces usages) est souhaitable auprès de d’autres jeunes, mais en intégrant le projet dans un autre milieu que le milieu des structures sociales et en prévoyant un réajustement de certains des objectifs premiers du projet.

 

Le bilan

Cette étude, bien que limitée et incomplète, mais réalisée sur le terrain, objet d’une commande, donc dans un cadre quasi professionnel, nous a apporté beaucoup en terme d’expérience et d’enrichissement personnel. Elle nous a d’abord permis de découvrir le domaine de l’évaluation, de l’audit, elle nous a également permis de constituer une méthodologie propre à notre champ d’exploration et à nos moyens. Par ailleurs, nous avons pris connaissance du monde associatif, des structures de proximité, du monde des jeunes des quartiers populaires et de l’importance du contexte politique dans chaque " entreprise " concernant le développement social et les projets à but non-lucratif. .

Nous pensons que l’analyse des usages suscités par le projet " Webtrotteurs de quartiers " devrait être poursuivi dans le cadre du projet AUSSI en l’élargissant à d’autres ateliers Webtrotteurs dans différentes villes ou pays, et en prenant en considération tous les éléments du système étudié (les objectifs, le contenu, le public, les formateurs, le dispositif technique, le calendrier, les concepts, les résultats, les partenaires, l’institution conceptrice du projet).


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