Méthodologie de la recherche action sur les nouveaux usagesDate: 20 Feb 2006 Section: Méthodes et outils d'analyse des usages | 1 Méthodologie de la recherche action (RA) 1.1 Méthodologie proposée : 1.2 Résultats attendus 2. Usages et innovation 2.1 Les rapports entre technologie et société 2.2 La notion d’usage 2.3 Etats des principaux travaux sur la question 2.3.1 Origine 2.3.2 Question de la diffusion de la technique 2.3.3 Innovation du point de vue de la conception 2.3.4 L'appropriation de la technologie 2.3.5 La construction sociale des usages 3 Le SASCO, un outil méthodologique pour la Recherche-Action 3.1 Le Séminaire d’Analyse des Situations de Communication (SASCO) 3.2 Le déroulement d’un séminaire 3.3 Les objectifs du dispositif et les effets pédagogiques attendus 3.4 S’entraîner à utiliser des concepts et des modèles du champ de la communication 3.5 Une introduction à l’approche situationnelle Notes
1 Méthodologie de la recherche action (RA)
Dans la Recherche Action (RA) telle que nous l’avons pratiquée, la dimension première est le « faire », c’est à dire l’action. La réflexion sur l’action porte donc sur les activités mises en oeuvre par les participants. La recherche vient se greffer sur l’action et a pour l’essentiel une visée de transformation des pratiques des acteurs. Nous nous inscrivons dans une perspective pragmatique très différente des recherches classiques telles qu’on les pratique généralement à l’Université. Cela ne signifie pourtant pas que nous nous désintéressions de la construction de nouveaux savoirs…
Dans la RA, l’action est en même temps l’objectif et le support : par exemple, quand on veut étudier une situation pour la reproduire ailleurs, cela ne marche pas toujours, en particulier dans les actions liées au multimédia. Ainsi, l’enjeu est de voir comment on peut « tirer les leçons » de ce qui a marché quelque part. On ne cherchera pas à reproduire les situations car une telle piste serait impossible à suivre. On tentera plutôt d’analyser pour comprendre les mécanismes, les fonctionnements afin de ne retenir que ce qui peut servir ailleurs.
Dans la RA, le support de la recherche est le processus qui est en cours dans chacune des actions. La méthode de recherche est une approche inductive qui part du terrain. C’est le terrain qui est à l’origine de la formulation de la problématique. Dans d’autres approches, la problématique peut être plus générale et peut ne pas venir du terrain. Ex : le problème de la liberté humaine en lien avec le multimédia. En utilisant le téléphone mobile, est ce que les personnes développent leur liberté ? Dans la RA, on part de ce qui se passe sur le terrain. C’est du terrain que peuvent émerger de nouvelles idées, des pistes de recherche. Ce n’est pas évident et cela nécessite de prendre du recul par rapport à l’action. C’est pourquoi, il s’agit aussi d’une véritable démarche de recherche.
Les difficultés sont présentes bien évidemment. Nous allons tenter d’en recenser quelques unes.
Première difficulté : Quand il y a plusieurs actions différentes, il est difficile de trouver une problématique commune.
Il est possible pourtant d’adopter une approche pertinente : Elle consiste à reconnaître la singularité des situations et simultanément de faire émerger des problématiques spécifiques dans chaque cas. Il est possible dans un deuxième temps de voir ce qu’il y a de commun. On respecte la diversité. On part du terrain et on note les réflexions, les problématiques qui émergent.. A un moment donné, il est possible d’introduire des concepts, classiques ou nouveaux, qui aideront à tirer les leçons de ces situations. L’élaboration de concepts est indispensable. C’est une des conditions de la compréhension des situations vécues. Le concept sert de levier pour la réflexion et par conséquent il va servir aussi à l’amélioration des situations. De ce point de vue, on peut parler d’une véritable utilité pratique des concepts. Une part des résultats de la recherche action, consiste dans la recherche et dans la définition précise des concepts correspondant aux besoins de l’analyse des actions.
Deuxième difficulté : Problématiser les situations de terrain.
Il s‘agit de découvrir mais aussi de construire les problématiques sous-jacentes à l’action. Les actions humaines ne sont jamais vides de sens. Souvent on constate au contraire un trop plein de significations. Chaque acteur tend en effet à justifier ses actes et se conduit en fonction de ce qu’il imagine être les solutions qui se présentent à lui dans le champ des possibles qu’il imagine. Les acteurs adoptent ainsi des conduites, des attitudes fort différentes. Ces différences témoignent de la pluralité des intérêts, des mondes de référence. L’observateur chercheur mais aussi acteur doit savoir distinguer son point de vue de celui des autres, comprendre les fondements des attitudes autres que les siennes et enfin construire le sens pour le chercheur des phénomènes situationnels qu’il constate. Pour ce qui nous concerne, la RA concerne à coup sûr la problématique d’introduction des technologies dans des opérations où des opérateurs humains sont directement concernés. Dans ces chantiers où la technologie est présente, On a tendance à la mettre en premier. Mais le risque est de s’enfermer dans une approche purement technique. Pour éviter de s’enfermer dans la technique, il vaut mieux partir des situations en faisant intervenir tous les éléments du contexte dans une approche qualitative. Il s’agit de comprendre comment se passe l’introduction des TIC.
1.1 Méthodologie proposée : On a utilisé une méthodologie en deux temps : - D’abord on met en place une démarche d’analyse des situations de communication (SASCO). Elle nous permet de comprendre ce qui se passe de significatif sur le terrain. Les situations étudiées sont apportées par les participants au séminaire. Elles doivent porter sur les usages des nouvelles technologies. - Ensuite, on tente de manière plus approfondie et systématique d’étudier quelques cas. Ces cas pourront, par la suite, être utilisés comme outils pédagogiques. Ils seront créés à partir du terrain par les participants et pourront être transférés pour servir de support aux futurs porteurs de projets, commanditaires....
1.2 Résultats attendus Ne va-t-on pas une nouvelle fois découvrir ce que l’on sait déjà ? C’est une remarque critique qui est souvent formulée. Nous pouvons répondre que la nature du processus qui est activé par cette recherche action, garantit au contraire que l’on ait des chances de découvrir des aspects ignorés ou passés sous silence. En effet, en partant des situations, on laisse ouvert le choix des thèmes abordés, c’est pourquoi il y a de grandes chances que ce soient les véritables questions qui émergent et non celles bien connues que formulent les acteurs.
Bibliographie : Pierre Paillé & Alex Mucchielli : Analyse qualitative, collection U..
2. Usages et innovation
Lorsqu’on parle d’usage, on se demande ce qui se fait réellement, comment ça se passe dans la réalité. Nous faisons référence notamment au travail de Serge Proulx « L’explosion de la communication à l’aube du XXI siècle». Professeur à Montréal (approche stratégique des usagers), Nous allons examiner successivement :
2.1 Les rapports entre technologie et société Cette question est introduite par les interrogations du type : - Quel est l’impact pour la société de l’arrivée de telle ou telle technologie ? - - La diffusion de telle ou telle technologie peut-elle engendrer une révolution sociale ? Dans cette vision, ceux qui sont du coté des techniques, les techniciens sont généralement optimistes ; dans la sphère intellectuelle, on trouve des points de vue plus critiques s’appuyant sur les multiples possibilités de la liberté humaine. Dans les Sciences de l’Information et de la Communication, certains chercheurs se posent plutôt la question du « comment » : Comment saisir l’entrée de la technique dans la société ? Comment prendre en compte l’environnement social ? Il y a en arrière plan certainement l’idée que l’on peut échapper à la fatalité du déterminisme technologique. Pourquoi rencontre-t-on si souvent l’impact de la pensée déterministe? La technique est très visible, elle influence notre vision de la société en permanence, on ne peut pas en faire abstraction, l’espace s’organise autour des nouveautés techniques. Mais il faut prendre garde à ne pas tomber dans un déterminisme inverse en posant que ce sont le développement de la science et des besoins de l’homme qui déterminent l’évolution technique. On parlera davantage de « résonance », l’espace socio-économique fournit une « résonance » à l’innovation technique (ex : la voiture électrique n’a pas progressée…). La recherche s’oriente assez souvent sur l’observation des usages des objets techniques : que font les gens avec cette technologie ? L’entrée méthodologique passe par des descriptions précises. On ne peut comprendre les usages sans une description précise de tous les éléments du contexte. Un usage donné s’explique par un certain nombre de facteurs qu’il faut prendre en compte dans la description : - Contraintes externes : état technologique du moment ;. - Les représentations du phénomène technologique (image, sens que nous donnons à une technique, représentation sociale et psychologique) - - La technique est présentée d’une certaine manière : mise en scène du discours social - - Caractéristiques de l’usager : situations professionnelles, maîtrises et compétences requises, capital économique et social de la personne, compétences sociales, capacités culturelles, connaissances. L’erreur fondamentale que nous devrons absolument éviter de commettre serait de penser que c’est la technique qui change à elle seule la société : il faut éviter ce déterminisme étroit.
2.2 La notion d’usage C'est une notion complexe. C‘est un construit social, la notion ne recouvre pas l’évidence qui lui semble associée. Les significations sont nombreuses : l’espace de variation peut être situé entre la notion d’adoption et celle d’appropriation : L’adoption va faire référence à l’achat, la consommation (ex : notion d’usage utilisé en sociologie de la consommation) L’appropriation nécessite trois conditions : 1. Un minimum de maîtrise de l’objet technique 2. - Une intégration aux pratiques quotidiennes 3. - Une possibilité de détournement (on ne fait pas exactement ce que les concepteurs avaient prévu) L’appropriation est le terme qui ouvre le mieux la réflexion vers une sociologie générale des usages. On peut se référer au dictionnaire de la sociologie :
Définition du dictionnaire de sociologie : L’usage est défini comme une pratique sociale que l’ancienneté ou la fréquence rend normale dans une civilisation donnée, on ne peut plus se passer des coutumes et des pratiques. L’usage est une utilisation particulière qu’un individu ou un groupe peut faire d’un bien, outil ou instrument. Par exemple Pierre Bourdieu, dans son ouvrage, « Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie (1965) », a étudié la photographie comme innovation technique et les significations sociales des usages de cette technique. Enfin, il ne nous faut pas oublier que le contexte des usages est déterminant et surdétermine largement la représentation sociale des publics. N’oublions pas non plus que la technologie contemporaine modifie considérablement les frontières entre le domaine professionnel et le domaine privé. C’est la conséquence du fait qu’elle intervient dans la communication en bouleversant notre rapport au temps et à l’espace. Cela a des conséquences sur l’organisation du travail mais aussi sur les situations de la sphère des loisirs. Les innovations technologiques contemporaines agissent sur notre rapport au temps libre. Le terme même de temps libre est donc à utiliser avec prudence. (exemple : téléphone et ordinateurs portables…).
Peut-on distinguer usage et pratique ? L’usage est lié à un objet technique (usage minitel…). Le terme usage employé seul, sans le complément qui précise de quoi est fait l’usage, sonne mal. Dans le langage courant l’usage est toujours un usage de …. C’est pourquoi s’intéresser à un usage c’est convoquer une situation particulière dont on sait par avance qu’elle comportera un objet technique identifié. La pratique est une notion plus large ; on parlera des pratiques liées au travail, aux loisirs ou à la famille. Surtout la pratique nous renvoie au sujet de l’action, à la singularité d’un agent, à ce qu’il fait. Cela nous permet d’entrevoir au moins partiellement ce qu’il est, son identité, à travers les formes observables de son rapport au monde. Au risque de trop simplifier, on pourrait dire que les usages sont des pratiques avec des objets particuliers. Cette formulation a certainement des inconvénients mais elle a un gros avantage, elle souligne le fait que nous nous intéressons à des phénomènes où la technique est certes présente mais où l’observation ne va pas négliger tout ce que l’inventivité humaine est susceptible de produire et plus généralement elle affirme un souci d’ouverture à l’inattendu, à l’imprévu, souci de recherche tout simplement.
2.3 Etats des principaux travaux sur la question En empruntant à Serge Proulx et Philippe Breton ( L'explosion de la communication La découverte 2002) reprenons l’analyse des travaux sur la question des usages. 2.3.1.Origine 2.3.2.Comment a été appréhendée la question de la diffusion de la technique ? 2.3.3.L’innovation technique 2.3.4.L’appropriation de la technologie 2.3.5.La construction sociale des usagers
2.3.1 Origine Michel DE CERTEAU « L’invention du quotidien » fait de l’action des membres de la société une production permanente de la culture. Les acteurs ne se contentent pas de commercialiser, ils produisent, inventent le quotidien. Il s’agit de saisir les mécanismes de créativité des pratiques sociales. « Il faut s’intéresser non aux produits culturels offerts sur le marché des biens mais aux opérations dont ils font usage ». Il insiste sur la créativité des individus, il nous invite à problématiser les opérations des usagers..
2.3.2 Question de la diffusion de la technique Pour les études les plus anciennes, ce qui est déterminant ce sont les relations interpersonnelles dans la diffusion des innovations. Ainsi, Paul Lazarsfeld insiste sur les leaders d’opinions. Pour Rogers « Diffusion des innovations » le processus peut s’analyser en quatre éléments : - Caractéristiques de l’innovation (Ex : avantage/inconvénient de l’outil technique) - - Communication autour de l’objet technique - - Durée du processus, cinq étapes : Connaissance de l’objet (ex : France Télécom a diffusé massivement le minitel pour le faire connaître) La conviction de sa pertinence Décision d'adoption L’essai d’usage La confirmation du choix - Ensemble social concerné : dans quel cadre social se fait la diffusion ? Ce qui est déterminant c’est la structure du pouvoir, l’existence de réseau et le rôle des leaders. Lorsqu’on retrouve ces quatre étapes, on estime que la diffusion est réussie. En général, l'innovation technique arrive d’abord dans les couches sociales supérieures (Le rapport à la technique reflète la forme de la hiérarchie sociale selon Bourdieu) Ce modèle à permis de construire une typologie des usagers qui sont entrés dans le processus de diffusion : C’est ainsi que de manière maintenant classique, on distingue : - Les innovateurs - - Les adoptants précoces - - La 1ère majorité - - La majorité tardive - - Les retardataires
2.3.3 Innovation du point de vue de la conception Michel CALLON et Bruno LATOUR , sociologues au Laboratoire des innovations technologiques de l’école des Mines de Paris ont proposé un autre modèle dit « modèle de la traduction » pour rendre compte de la diffusion dans les entreprises. Ils ont marqué la réflexion en s'intéressant à la conception technique de l'objet. Celle ci est l'objet de négociation de processus complexes. C'est une construction permanente : "Dans cette conception, le contexte dans lequel se déroulent les pratiques d'usage peut être considéré comme le prolongement des capacités cognitives des êtres humains." Les objectifs techniques sont insérés dans un environnement qui devient déterminant dans l’usage ; l'usager interagit dans son environnement (ex : un pilote possède des connaissances et se doit en plus de prendre en compte l'environnement). Ces contextes environnementaux changent d'une situation à l'autre, on s'adapte continuellement. Les objets de notre environnement nous fournissent des moyens de comprendre ce qu'ils sont.. A ce sujet, il est possible de convoquer aussi la notion d’ « affordance » introduite par Gibson, c’est à dire la plus ou moins grande adhésion perceptuelle et matérielle de l’objet concret avec son environnement d’usage. (l’objet technique nous soulage ainsi d’un point de vue cognitif).
Deux conséquences importantes s’imposent : - L'usage est un processus mental qui ne réside pas exclusivement dans le cerveau et dans le corps, il doit être pensé en situation. - L'usage s'insère dans un environnement cognitif constitué de ressources structurantes. (ex : il sera nécessaire d'examiner avec précision les conditions d'accès dans un environnement multimédia) Cette conception permet de dégager sous forme de typologie les différentes formes d’interventions des usagers sur l’objet : - Le déplacement : l'utilisateur modifie le spectre des usages sans introduire de modification technique (ex : utiliser un biberon comme verre-mesureur) - - L'adaptation : l'utilisateur modifie l'outil technique pour l'ajuster à son usage et à son environnement - - L'extension : l'utilisateur ajoute des éléments au dispositif pour enrichir la liste des fonctions - - Le détournement : l'utilisateur fait un usage de l'objet tout à fait différent de celui qui était prévu par le concepteur
2.3.4 L'appropriation de la technologie Nous avons déjà souligné l’importance de l’idée d’appropriation. Elle est reprise par la sociologue Josiane Jouët. J. Jouët représente un courant de pensée issu des formes d’expériences collectives sur l'autonomie sociale postérieure à Mai 1968. Ce courant rejette la problématique technologique classique et la perspective volontariste et techniciste des pouvoirs publics. L’appropriation ne se décrète pas. Pour qu’elle puisse se faire, il faut que l'usager exerce un contrôle, même relatif, sur les décisions politiques et stratégiques. Dans le contexte de cette étude, il y a bien évidemment des décisions politiques, et se pose la question du réel contrôle de l'usager. Cela suppose une autonomie de décision et de pratique et resitue l’analyse dans le champ plus large des pratiques politiques et sociales. Cela pose la question de la place et du rôle des citoyens dans une démocratie, de la stratégie de réduction des inégalités… C’est alors une socio-politique des usages qui est envisagée et les référents d’analyse vont empruntés à ce champ là..
2.3.5 La construction sociale des usages Les chercheurs concernés aujourd’hui par l’analyse des usages ont pour tâche d’élaborer un cadre théorique intégrateur à partir des complémentarités entre les modèles que nous avons envisagés. Sur cette base, il est possible de distinguer quatre niveaux d'analyse : - L’interaction entre utilisateur et dispositif technique : problématique d'utilisation d'une technique existante. Comment le sujet est-il sollicité par la machine ? (ex : ingénieurs) - - La coordination entre usagers et concepteurs : il s’agit de tenir compte des environnements, du fait que notre cognition est distribuée dans l'environnement et que les objets présentent des affordances - - la situation de l'usage dans un contexte d'action sociale : contexte de travail, de famille et de rapports sociaux. "Il y a interpénétration des usages et des modes de vie. Les usages des techniques modifient les frontières entre espace privé et public, les rapports au temps et à l'espace" - - L'inscription des dimensions politiques et morales dans l'usage : Il s'agit d'introduire les valeurs et les représentations portées par les objets techniques
Références bibliographiques :
Philippe Breton et Serge Proulx, L’explosion de la communication, La Découverte 2002
Josiane Jouët, Retour critique sur la sociologie des usages, Réseaux n°100, 2000
Michel de Certeau, l’invention du quotidien, tome 1, Gallimard, 1990
Michel Callon, Bruno Latour, Les paradoxes de la modernité, Comment concevoir les innovations ?, Prospective et santé n°36, 1985
Everett Rogers, Diffusion of innovations, Free Press, NY, 1995
Pierre Bourdieu, Un art moyen essai sur les usages sociaux de la photographie, Minuit, 1965.
3 Le SASCO, un outil méthodologique pour la Recherche-Action
La démarche proposée dans la Recherche Action (RA) est plutôt inductive : elle part du terrain, on va analyser une situation pour comprendre, tirer des éléments et résoudre des problèmes.
3.1 Le Séminaire d’Analyse des Situations de Communication (SASCO) Le dispositif de recherche-action que nous allons présenter et analyser est né de la volonté de rendre la formation à la communication par la recherche plus efficace en tentant de construire des ponts entre théories et pratiques de communication. Nous nous plaçons précisément dans une logique de production de compétences chez l’apprenant, compétences qui devraient pouvoir se déployer dans toutes les situations où la communication est un thème pertinent sur le plan privé ou professionnel. On va voir que le dispositif fait le choix de focaliser l’étude sur une situation vécue par un des membres du groupe d’apprentissage. Ce parti pris pédagogique d’ancrage dans le réel est une orientation fondamentale. Il nous permet de respecter la complexité des situations de communication et de nous intéresser aux savoirs sur la communication en construisant une démarche heuristique. Si on devait résumer sous forme de courte phrase le projet de recherche, la meilleure formule serait sans doute : « Ici, on apprend en s’entraînant à chercher ». Ce dispositif de recherche-action porte un nom. Nous l’avons baptisé SASCO ce qui signifie : Séminaire d’Analyse des Situations de Communication. Le SASCO est donc un objet commun d’activité avec ses règles, ses consignes bien définies et ses usages. C’est aussi pour certains animateurs un objet de recherche. Nous rappellerons d’abord brièvement en quoi consiste le séminaire d’analyse de situations de communication, nous énoncerons ses différentes phases et présenterons ses règles de fonctionnement. Nous étudierons les objectifs poursuivis et nous analyserons les effets de formation et de production de savoir produits par le dispositif.
3.2 Le déroulement d’un séminaire II convient tout d’abord de décrire brièvement ce dispositif avant de préciser les buts poursuivis. Le SASCO a été mis en place et expérimenté depuis quelques années à l’Université Montpellier III dans le cadre du Département des Sciences de l’Information et de la Communication. Il concourt à la formation des étudiants de licence en liaison avec leur projet de mémoire et il est aussi utilisé en formation professionnelle continue. L’auteur de ces lignes anime régulièrement des séances où les étudiants exposent et analysent collectivement des scènes de communication, observées dans le contexte. de leur stage en entreprise. Cet entraînement sert à préciser les démarches de recherche en communication. Ce séminaire s’inspire de dispositifs analogues, dits « d’analyse des pratiques », souvent utilisés en formation professionnelle. Néanmoins, il présente certaines originalités que nous allons souligner. Rassemblant un groupe restreint de participants (2) sous la conduite d’un animateur, il se déroule en quatre ou cinq phases :
Phase 1. Un participant volontaire raconte brièvement un événement qui relève d’une situation de communication qu’il a connue comme témoin direct. La notion de volontariat est importante, le fait que le narrateur prenne l’initiative du témoignage renforce l’effet d’implication recherché par le dispositif. Par ailleurs, nous entendons par événement un fait particulier, suffisamment singulier pour être sélectionné par le narrateur. Cet événement touchant à la communication doit avoir laissé le témoin insatisfait : il souhaite en savoir plus. Cette interrogation, cette curiosité servent de facteur de motivation pour les membres du groupe. Précisons enfin que la participation du narrateur à la scène rapportée est indispensable afin qu’il puisse répondre aux questions de la phase 2. Dans la recherche qui nous importe ici, la situation devra comporter nécessairement la mise en oeuvre d’une technologie innovante.
Phase 2. Les participants interrogent le narrateur afin d’approfondir leur connaissance collective de la situation. L’animateur veille à ce que les participants n’interviennent que sous la forme de questions posées au narrateur. Souvent les participants débutant dans des séances de SASCO oublient cette consigne et elle doit être rappelée avec fermeté. Cela permet en effet d’approfondir le travail d’enquête avant d’entreprendre les échanges de type interprétatif. Bien sûr les questions comportent souvent des hypothèses sous-jacentes mais le respect de la forme interrogative évite généralement la construction trop hâtive d’explications souvent trop schématiques de la situation. L’animateur invite les participants à documenter la situation en posant de nombreuses questions sur les circonstances et le contexte. A la fin de cette phase, les membres du groupe possèdent tous la même information sur la situation et peuvent donc mettre en oeuvre leur analyse dans des conditions similaires rendant le travail collectif particulièrement instructif. C’est ainsi qu’à travers leurs échanges, ils vont pouvoir comparer les constructions interprétatives qu’ils ont produites à celles de leurs semblables, membres du groupe.
Phase 3. Alors que le narrateur s’impose un silence obligé, les participants formulent des hypothèses sur la compréhension des phénomènes précédemment mis en évidence. L’animateur organise les échanges afin que tous ceux qui souhaitent s’exprimer puissent le faire. Il sollicite une argumentation, rapproche deux hypothèses, fait préciser les modèles d’analyse ou les références méthodologiques et théoriques utilisées. Il insiste pour que les intervenants prennent le soin d’indiquer les faits qui sont effectivement convoqués dans leurs analyses. Il rappelle que, contrairement à la phase précédente, il faut éviter de s’adresser au narrateur puisque celui ci est interdit de réponse. Enfin, afin de préparer une synthèse, l’animateur prend en note les systèmes interprétatifs qui se font jour au fur et à mesure des interactions dans le groupe.
Phase 4. L’animateur, dont le rôle a été jusque là de faire respecter les consignes, redonne la parole au narrateur pour qu’il fournisse « le mot de la fin ». C’est l’occasion de vérifier si les résultats de la séance lui semblent pertinents. On peut être aussi attentif à la façon dont le narrateur accepte ou récuse les conclusions produites sans lui. Dans tous les cas, ce moment est indispensable pour compenser l’effet de frustration créé par la contrainte de silence de la troisième phase.
Phase 5. La démarche de Recherche-Action se concrétise particulièrement dans la cinquième phase qui consiste à explorer de manière largement introspective les processus cognitifs à l’oeuvre dans l’analyse (3). L’animateur peut demander aux participants de s’exprimer sur leurs manières de faire dans la conduite de l’analyse en les comparant à celles qu’ils devinent chez certains de leurs pairs. L’objectif est ici de renforcer des éléments embryonnaires de méthode en les donnant à voir par la description. Nous faisons l’hypothèse que se développent ainsi de véritables compétences à analyser des phénomènes communicationnels complexes. L’animateur peut aussi tenter de faire une synthèse des différents apports et ajouter son interprétation à celles du groupe. Il est préférable qu’il intervienne à ce moment là plutôt que lors de la phase 3 afin de préserver son rôle de gardien du dispositif. Il est bon aussi qu’il ne se positionne pas trop tôt en expert en donnant sa propre version de la lecture de la situation. Cela ne ferait qu’indisposer le groupe, créant une attente systématique vis à vis de sa contribution et contribuant à tarir les échanges. Ces contributions finales permettent d’élaborer ce qui va pouvoir être retenu de cette situation. C’est ce qui est transférable à d’autres contextes en tant que résultat de la recherche. Il est bon qu’un compte rendu soit systématiquement rédigé afin que la trace de ces résultats ne soit pas perdue.
Résumons les règles qu’il importe de garantir pour le fonctionnement optimal du SASCO : L’objet du témoignage doit être une situation vécue par le narrateur. La situation rapportée doit être inconnue des autres participants afin qu’ils soient incités à la découvrir en posant des questions. Le respect de la forme interrogative des interventions dans la deuxième phase est particulièrement important. De même, il convient de souligner le caractère hypothétique des constructions interprétatives de la troisième phase. De cette brève présentation, on retiendra que la tâche de l’animateur est particulièrement délicate. Le terme de formateur, non consacré par l’usage à propos de ce type d’activité, conviendrait certainement mieux.
3.3 Les objectifs du dispositif et les effets pédagogiques attendus Ce dispositif brièvement présenté témoigne d’une intention générale (4) que nous allons maintenant envisager : initier l’apprenant à l’analyse des situations de communication. Cette compétence générale (ou aptitude) suppose que soient satisfaits plusieurs objectifs intermédiaires. Nous allons tenter de les énoncer et de les expliciter.
Faire un inventaire descriptif complet d’une situation avant de se lancer dans l’interprétation. Pour cela, la phase 2 qui repose sur les questions posées au narrateur est essentielle. Nous avons dit que l’animateur doit veiller scrupuleusement à ce que les participants respectent la forme interrogative. En effet, à travers leurs questions, les membres du groupe imposent au narrateur une description précise. L’obligation de poser des questions réduit le risque d’interprétations trop rapides et abusives. Nous insistons sur le fait que cette particularité du dispositif joue le rôle implicite de guide méthodologique d’analyse. Cela peut faire songer aux conseils donnés parfois aux étudiants dans le cadre de l’initiation à la recherche : « décrivez les phénomènes tels qu’ils vous apparaissent, tels qu’ils se manifestent à vous en essayant de suspendre les jugements ». Nous pouvons faire l’hypothèse que le travail de groupe ainsi organisé produit le même effet que l’écriture dans la description phénoménologique. Le fonctionnement interactif du groupe est cependant susceptible d’apporter une plus grande richesse d’analyse. L’intersubjectivité qui s’y manifeste est source de fécondité pour la réflexion.
Etre attentif au contexte, apprendre à être précis. L’expérience montre que les apprenants se contentent souvent de quelques éléments contextuels et qu’ils négligent les questions sur les circonstances, sur ce qui précède et ce qui suit l’événement... Ce sont souvent les détails du contexte qui portent les plus intéressantes significations. Les participants au séminaire doivent apprendre à « chasser » ces détails, à les relier à d’autres éléments. Le détail bien exploité est susceptible de produire un enchaînement explicatif insoupçonné. Cela suppose une forme de curiosité qui se retrouve dans la précision des questions, dans l’attention aux gestes et aux paroles. Le bon questionneur a le souci de retrouver les mots prononcés dans la situation et interroge la mémoire du narrateur pour, si possible, restituer les échanges langagiers. Tous les éléments constitutifs de la situation sont l’objet d’enquête, mais s’agissant de communication, on cherche particulièrement à décrire les médias, les supports techniques, afin de retrouver les fonctions de communication effectivement présentes.
Se confronter à la complexité des situations. Les témoignages sur les événements situationnels font surgir dans le champ du groupe de formation la dimension de la complexité des phénomènes vécus. A chaque fois, cela impose une plongée dans la singularité d’une situation avec ses acteurs, son contexte, ses déterminants. Cette immersion confronte le sujet apprenant à l’inattendu, l’incongru, l’étrange, à ce qui est arrivé sur le plan de la communication à un autre que lui. Cela lui impose un déplacement vers un monde à la fois inquiétant et passionnant, mais dans tous les cas, intelligible, puisque témoignant d’une réalité vécue. On cherche à dépasser la connaissance nominale des théories de la communication, certes utiles, mais souvent impuissantes face à la singularité des questions que posent les problèmes de la vie quotidienne et de l’activité professionnelle. Pour les salariés en formation continue qui participent aux SASCO c’est un moment privilégié de tentative d’explicitation des difficultés de communication professionnelle qui ont pu les préoccuper. Généralement, ils « s’emparent » du dispositif avec enthousiasme car ils y trouvent des formes de réponse à leurs interrogations et une initiation fonctionnelle aux modèles d’analyse qu’ils ont du mal à appréhender. C’est précisément le moment où peut se faire la liaison pragmatique entre la recherche et l’action dans un contexte professionnel Repérer ses modes d’implication dans le dispositif d’analyse et les contrôler. Le processus d’analyse dans le SASCO suppose que les participants identifient les projections qu’ils effectuent spontanément sur certains des personnages évoqués dans la situation. Un observateur aguerri repère vite ces phénomènes et perçoit leurs déterminants (âge, sexe, proximité de statut ou de fonction...). Mais le participant novice épouse le rôle d’un des acteurs évoqués par le narrateur sans en être conscient. Il analyse alors le monde situationnel depuis ce seul angle de vision et cette implication incontrôlée lui interdit la construction d’un véritable savoir sur la situation . Par exemple les logiques d’acteurs en situation sont appréhendées trop schématiquement faute d’une approche compréhensive des rôles et des enjeux. Le participant analyste devra donc apprendre à repérer ses projections et s’entraîner à « habiter » d’autres rôles que ceux vers lesquels il incline spontanément (5). Cela n’est pas chose aisée. On constate qu’il faut du temps pour effectuer cet apprentissage. Certains participants arrivent difficilement à adopter l’attitude d’empathie nécessaire.
3.4 S’entraîner à utiliser des concepts et des modèles du champ de la communication Les interprétations spontanément fournies par les participants débutants ne font généralement pas appel à des modèles très élaborés. Les savoirs convoqués sont des notions de sens commun. Les préjugés abondent. Les explications fournies sont souvent de type substantialistes. Elles font référence à la qualité des choses, à la personnalité comme source causale des phénomènes constatés. Il arrive aussi que les participants au séminaire cherchent à plaquer de manière très mécaniste des connaissances insuffisamment assimilées. La situation, morceau de réalité rapportée, résiste alors avec force à leur assaut interprétatif malhabile. Il leur faut inventer autre chose, revenir aux faits, être plus modeste sur l’outillage théorique à utiliser et surtout être plus rigoureux dans la définition des concepts. C’est l’entraînement (et son corollaire la répétition) qui joue un rôle décisif dans les changements qui permettent de construire progressivement une aptitude à l’analyse. Le travail collectif et la diversité des points de vue que le séminaire révèle, produisent des évolutions. Petit à petit, les participants abandonnent les explications simplistes. Ils s’autorisent à penser les situations en faisant appel à des modèles. Dans un cadre de pensée empirique, ils se montrent capables d’utiliser leurs connaissances.
3.5 Une introduction à l’approche situationnelle Nous venons d’essayer de montrer que le dispositif SASCO contribue à une formation méthodologique à l’analyse des communications abordée à travers l’approche situationnelle. C’est sur la notion de situation et d’analyse situationnelle que nous voulons revenir brièvement pour donner quelques indications sur nos recherches actuelles dans ce domaine. Nous proposons une définition de la situation que nous empruntons à Ardoino et Berger (1989, p221) : Il s’agit d’un « événement vécu d’une certaine durée, repéré… selon les coordonnées spatiales et temporelles, par des sujets acteurs, agents, qui s’y trouvent impliqués (quelle personne ? A quel endroit ? A quel moment ?) ». La mise en avant de la notion « d’événement vécu » est pour nous essentielle. Comme nous le rappelions dans une communication (Auziol, 1997), nous travaillons sur le récit fait a posteriori par un témoin. Il s’ensuit que la situation dont nous parlons est un construit, c’est à dire un ensemble qui entretient des relations à la fois avec la réalité dont il témoigne mais aussi avec le sujet qui la raconte. Si nous prenons cette situation comme objet d’étude, nous épousons donc dans un premier temps le regard de celui qui en est l’auteur. Nous avons vu que cela pouvait être à l’origine de nombreuses difficultés chez l’analyste débutant. « Les situations sont toujours complexes et difficiles à analyser du fait des dimensions hétérogènes qu’elles comportent (jeux antagonistes et conflictuels des volontés, des intentionnalités, des désirs, des fantasmes, des valeurs et des logiques propres aux différents partenaires …) ». Pour J. Ardoino, l’approche situationnelle est nécessairement associée à une lecture multiréférentielle.. Il faut entendre par là une forme d’analyse s’appliquant à un objet complexe et s’effectuant en fonction de plusieurs référentiels, généralement des savoirs constitués (psychologie, sociologie, psychosociologie, économie, sciences politiques…) appliqués au champ de la communication. Ces référentiels de nature diverse sont forcément hétérogènes mais cela n’invalide pas nécessairement la démarche d’analyse. La question de la pertinence des constructions interprétatives privilégiant tel référentiel ou tel modèle est néanmoins posée. Des exercices de comparaison des interprétations produites avec différents modèles seraient particulièrement intéressants. Ils devraient permettre de préciser la pertinence des modèles en fonction des situations. Ce travail n’est qu’a peine ébauché. En conclusion, nous soulignons que cette démarche d’analyse à l’avantage de faire clairement rupture avec les positions paradigmatiques dogmatiques et fermées. Elle trouve un écho dans la construction de la discipline communication dans un cadre scientifique clairement affirmé comme pluriel. Ainsi, le dispositif nous paraît non seulement pertinent du point de vue de ses effets, mais aussi cohérent avec le champ disciplinaire qui l’accueille. L’ensemble des modèles de diffusion de l’innovation peuvent être ainsi éprouvés dans le cadre de l’analyse conduite collectivement à partir des situations d’utilisation des technologies nouvelles.
Repères bibliographiques Ardoino, J. & Berger, G. (1989). Une évaluation en actes. Paris : Andsha. Auziol, E. (1997). La double communication dans les situations d’usage des nouvelles technologies. Bordeaux : Actes du Colloque « Penser les usages », 395-400. Coulon, A. (1987). L’ethnométhodologie. Paris : PUF De Fornel, M. & Quéré, L. (Eds). (1999). La logique des situations. Paris : Editions de l’EHESS. Donnay, J. & Charlier, E. (1990). Comprendre des situations de formation. Bruxelles : De Boeck Universités. Piette, A.(1996). Ethnographie de l’action, l’observation des détails. Paris : Métailié. Mucchielli, A.(1991) Les situations de communication. Paris : Eyrolles.
Notes
2 Groupe de 12 à 18 personnes.
3 Tentative de répondre à la question : "Comment analyse-t-on ?".
4 Nous faisons référence aux méthodes de l'analyse intentionnelle que l'on peut appliquer aux outils ainsi qu'aux dispositifs (ici le SASCO). Pour plus d'information, le lecteur pourra consulter mon article : "l'analyse intentionnelle" , page 105-107 du Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Dir A. Mucchielli chez Colin, 1996..
5 Ce type d'attitude que les participants adoptent après quelques séances de SASCO en suivant les conseils de l'animateur, s'inspire de principes développés en sociologie compréhensive et rappelle aussi le "tracking" qui en ethnométhodologie consiste à suivre un acteur à la trace en "se mettent dans ses pas" Coulon, (1986, p82)..
Ce document est extrait de la publication suivante : "Réseaux numériques et démocratie sociale : recherche-action sur les nouveaux usages", document de synthèse du projet Européen Equal "e-dentités solaid@aores" du Conseil général sde l'hérault, piloté par A.L. Murcier et E. Auziol, juillet 2005
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