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Création artistique numérique: source d'innovation?
Auteur: Valérie Méliani
Publié: 17 Sep 2007
Version: 0.05
ID article: 53
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MOUSTIC 07
ATELIER N°3: Création artistique numérique: source d'innovation?

Bérénice Belpaire (BB) Annie Abrahams (AA)
66gnes Peurs

Observation des échanges enrichie de réflexions personnelles
réalisée par Valérie Méliani
valerie.meliani@univ-montp3.fr

Doctorante en Sciences de l'information et de la communication
Université Montpellier 3
www.information-communication.com

Chercheur au laboratoire du CERIC
www.ceric-mpl.org


Le travail de BB est en gestation, pas abouti, en cours de réflexion. 66gnes s'inspire de l'univers des contes de fées. BB place l'acteur au centre du dispositif artistique : « c'est lui qui construit sa propre histoire ».

AA est entrée dans un travail à partir du texte, pour elle le texte comme outil est plus indépendant que l'image. L’image est rattachée à une histoire, empreinte de significations relatives au vécu des acteurs.

Présentation 66gnes
BB souhaite rentrer dans la relation intime de l'acteur, de l'utilisateur, à son ordinateur.
La technique en tant que telle ne l'intéresse pas, le travail consiste à mettre du sens sur notre rapport à cette technologie.
Le dispositif est créé de telle manière à ce que l'utilisateur soit impliqué. C'est à lui de découvrir les liens, les fenêtres. Plus on avance dans la profondeur du « conte » plus on rentre dans l'intime. Le dispositif cache des choses qu'il faut aller chercher.
Dimension ludique recherche des liens, du sens des fenêtres, et dimension intime: nourrie du vécu personnel de l'artiste.
On ne peut pas interpréter n'importe quoi. Les images qui apparaissent sur toute la longueur du récit, elles conduisent à éprouver une sensation globalement commune, il va émerger un sujet, une sensation du parcours. Le but n'est pas de raconter une histoire, mais de dégager un sentiment commun. Il en reste une mémoire sociale, une mémoire collective. L'interface s'adresse à l'acteur dans son individualité, dans son intimité. BB reprend des archétypes universels et les retranscrit à l'aide des médias d'aujourd'hui, dans nos problématiques actuelles.

Expérience d'un atelier avec des enfants : BB leur a donné une liste de mots sans préciser le contexte et à demander aux enfants d'exprimer le mot selon leur propre ressenti. Le mot pouvait être illustré par des images. Les mots clés étaient associés les uns aux autres par des liens, de manière linéaire ou non.

Jouer avec les archétypes des images, avec les associations d'images pour se créer son propre récit. Plus tard ajout de musique, mais pas de texte pour laisser libre cours à l'interprétation de l'internaute. Le choix de la musique s'est orienté vers des musiques de film, musiques assez inquiétantes comme celles de l'univers de David Lynch.
Le récit est mis en scène à travers sa symbolique iconique. Plus de menu, on ne peut plus revenir, BB oblige l'utilisateur à prendre le ton, à s'immerger dans le dispositif. C'est un choix. L'utilisateur évolue dans cette interface uniquement à travers les images, symboles iconiques.

Présentation Peurs
Performance d'ados à la fin d'un projet avec AA, à Metz. Un cyber-atelier a accueilli les élèves inscrits 1h par semaine pendant un an. Les élèves participent volontairement, en dehors des heures de cours. Dès le départ, les élèves ont été mis au cœur du projet, et un contrat à été établi leur donnant une grande part de responsabilité dans son déroulement.
Cette collection autour de la peur est un genre de portrait collectif.
Dans ce genre de dispositif ouvert à la participation par le texte, la plupart du temps, personne ne lit l'intégralité des phrases proposées par les acteurs. Alors que l'ensemble des propositions individuelles crée un tout différent de la somme des propositions.

Dans cet atelier, AA implique complètement les acteurs dans la création du dispositif. Elle accompagne les élèves pendant une année sur le thème de la « peur ». Elle leur donne des outils, les aide à mettre en forme leur propre ressenti sur cette thématique. Ils produisent des phrases, en recueillent dans leur entourage, les redistribuent, et créent des images pour les accompagner. Après les premières images récurrentes sur la peur socialisée par les médias: guerre, BD, insectes... les images de peur qui ont ensuite surgi représentaient souvent la solitude.
Les enseignants encadrant le projet ont été très étonnés par le résultat de cet atelier au niveau de l'implication des adolescents dans leur domaine intime.

Dans son travail, AA contrairement à BB qui implique et immerge l'utilisateur, cherche à créer une distance qui rend la réflexion possible sur une thématique intime. Il ne s'agit jamais de faire vivre la peur, de faire vivre la solitude. C'est pour cette raison qu'elle n'utilise pas le texte d'une personne, mais un texte qui est écrit par plusieurs personnes, un texte qui met en distance de la peur au lieu de s'en rapprocher. Cette lecture ne fait pas vivre l'émotion, mais au contraire donne du recul, crée une distanciation à travers la multiplicité des peurs individuelles, sa propre peur devient relative.

Même si AA cherche à distancier les individus d'une émotion collective en « la parlant », on peut aussi pour BB créer des émotions non-voulues, et parfois trop violentes et non gérables pour les acteurs participants. On ne sait pas quelles sont les choses qui vont provoquer à coup sûr telle ou telle émotion.
Pour Annie Abrahams, chaque acte a des conséquences imprévisibles, et pas seulement l'art.
Les productions artistiques bougent les institutions, elles questionnent les instances en place.

Jacques (un participant) Est-ce qu'un artiste crée une oeuvre pour lui d'abord et après pour les autres? Dans ce cas, les productions peuvent être au service de l'entreprise? Peut-t-on mettre de la création artistique pour servir le management de l'entreprise? Les projets de l'artiste et de l'entreprise peuvent-ils s'accorder?

Pour BB, art et entreprise, c'est antinomique : il y a quelque chose dans la demande de l'entreprise qui ne peut pas être dans la réponse artistique.
AA n'est pas d'accord.
Le manager, comme l'artiste, peut être vu comme un passeur, mais l'art doit-il être au service de l'entreprise?
AA pense que l'entreprise peut avoir envie de voir la fissure collective. Mais BB pense que si c'est pour après l'utiliser à ses propres fins, non elle ne veut pas participer ce type de manipulation.

Position de l'artiste comme hors normes ? Hors normes par rapport à un certain contexte, mais comme elle se nourrit de la participation des élèves, AA est ici révélatrice des normes des élèves.

À partir du débat sur la manière dont les artistes peuvent bouleverser les institutions, passons à la place, la conception des utilisateurs pour l'une et l'autre? comment AA et BB anticipent le public?

Pour AA : beaucoup de ses travaux sont participatifs, elle utilise ses contacts mail pour favoriser la participation, sinon, elle s'est rendue compte que c'était assez difficile de faire naturellement participer l'internaute tout venant. Le cadre dans lequel est annoncé l'œuvre participative, influe grandement sur le contenu des réponses, des participations. Elle fait donc très attention pour qui elle fait tel ou tel travail?
BB a une approche très différente et engagée. Elle ne visualise pas un public en particulier. C'est pour celui qui passera par là, elle n'a aucune idée de son public. Ce n'est pas un travail participatif, elle n'a pas besoin de l'apport du public dans l'interface. Son objet est sens dans une constellation où il y a plusieurs objets. La navigation est contraignante. C’est un choix volontaire de l’artiste : le visiteur doit accepter les conditions de cette navigation.
Le public pour AA c'est quelqu’un de seul, dans son intimité, il n’y a pas d'intermédiaire (galeriste..) sur internet l’accès à l'œuvre se fait dans son intimité.

Remarque: en termes d'utilisateur, l’écriture sur internet (cf. carrefour des possibles), différents poètes peuvent créer ensemble. Exemple du collectif concordance : experience avec 400000 personnes qui ont participés grâce à un lourd travail de référencement.

Expérience de lecture collective de textes sur la peur d'AA.


Pause


L'un la poupée de l'autre
performance d'Annie Abrahams et Nicolas Frespech, flashfestival, Centre Pompidou
Extrait vidéo

Le choix de la tente représente le mi-chemin entre le privée et le public, comme internet. On ne sait pas bien où on se trouve. « Réelle performance » : l'échange n'était pas prévu à l'avance.
Retours sur l'expérience : sentiment de va-et-vient entre proximité et distance, expérience très intime.
Peur de l'autre, relation intime dans un espace privé et public à la fois.

Au bout du conte
travail en cours de Bérénice Belpaire
Extrait vidéo

Il est ici question de choix et de non-choix dans la conception de l'interface.
Par exemple lorsque l'on fait une recherche d'images sur le net, on choisit un mot, mais on ne choisit pas les images qui vont nous être proposées L'œuvre préexiste et l'artiste ne fait que la mettre en lumière. C’est l’outil random de la machine qui choisit à ma place, la seule contrainte est le rythme de la musique.
C'est une vidéo random machine : l'artiste choisit seulement les médias (les images vidéos) et les filtres (le rendu).
Le random est malgré tout programmé par la nature des médias, le random se crée différemment selon les médias et les filtres (ici rendu plutôt cinéma : décomposer l'image en miroir, en vignettes, ce sont les
effets). Il y a ici environ 15 filtres, dont l'image fixe.
L'aléatoire n'est pas neutre, il se compose à partir de ce qu'on met à sa disposition.
Pourquoi le random? Qu'est-ce que ça apporte?
BB a travaillé sur les médias pendant longtemps sans résultat, et elle a senti le besoin de prendre de la distance, elle a eu envie de programmer des séquences. Plutôt que de les pré-programmer, comme le logiciel a la capacité de le faire, BB a choisi de l'utiliser. Ce qui a créé une certaine forme de fascination pour BB devant la création de la machine: « il arrivait à faire des combinaisons plastiques que moi je n'avais jamais faîtes... c'est humainement non-possible »
L'ordinateur produit un travail qu'humainement elle ne peut pas faire, plastiquement ça lui donne envie de réutiliser le travail de la machine pour en faire autre chose : allonger, étirer l'image pour donner un autre regard sur ces images.

Comment BB et AA s'approprie le flux? (fascination de BB par les images produites par la machine, flux produit par AA lors de Breaking solitude)
BB pense que l'être humain a une capacité à absorber les images pour lui-même, sans s'en apercevoir (exemple des souvenirs en Super 8). Pour BB, la technologie imprègne les images. On a en commun la texture des images qui appartiennent à notre époque : une mémoire médiatisée. Notre mémoire enregistre au plus intime de nous la texture correspondant à la temporalité de nos souvenirs. Des éléments techniques : tressautements dans la pellicule, couleurs passées... vont nous faire interpréter l'image comme un souvenir vidéo d'enfant sur la plage, alors que ce sont des enfants d'aujourd’hui. Ces sont des éléments qui font appel à nos normes sociales et culturelles partagées : une telle qualité de l'image est nécessairement une image du passée.

Pour AA, le flux d'image qui se trouve sur internet représente un portrait, un instantané, une capture du monde qui nous informe sur ce qu'est actuellement notre société. Exemple de recherche d’images sur google du mot : help.
Pour BB, c'est une photo de monde tel qu'il est là : c'est la photo d'un monde. Et ce monde est pluriel, c'est une vision du monde. Elle fait appel à la notion de profondeur : il y a ce monde, mais un autre derrière et encore un autre...
Pour AA, effectivement c'est une surface, une représentation possible du monde, et l'intérêt est de travailler sur ces représentations. AA cherche à se donner des outils pour comprendre et agir sur le monde.
BB, au contraire, cherche à travailler sur ce qui inconsciemment nous amène vers telle ou telle direction.

AA propose différents regards pour nous permettre de nous décentrer: rôle de l'artiste de regarder le monde de façon transversale.
BB propose un récit avec une forme artistique spécifique qui nous conduit à un sentiment commun. Peut-on parler d'innovation dans ces cas-là?

Public : l'art est nécessairement une innovation.
Les artistes s'enrichissent du travail de leurs pairs et évoluent nécessairement. Sinon, c'est de l'artisanat.
AA: est d’accord, sinon c'est de la science, du commerce... c'est de l'art si ça n'a aucune autre fonction.
Public: L'art c'est gratuit (provocation volontaire). La seule chose qui est gratuite dans l'art c'est l'acte de création. L'acte artistique est nécessaire, c'est un besoin. Il y a ensuite la question du devenir de la création.
AA: les artistes subventionnés ne sont plus de « vrais artistes ». L’argent les contraint.
Public: L'art c'est de la médiation, c'est un médiateur, il y a partage, et lien social.
BB : l'art, ça peut aussi être tellement perturbant que ça peut faire taire les gens.

Peut-on considérer la provocation comme un art de l'innovation ?
AA n'est pas là pour provoquer, elle a besoin de faire vivre son regard qu’elle a au monde, même si son regard est différent, elle ne pense pas provoquer. Elle propose des ouvertures, mais ne se reconnaît pas dans l’idée de provocation qui enferme Ou alors elle provoque une ouverture: « des mutations d'humeur ».

BB ne cherche pas la provocation, même si ça arrive. Elle interroge plutôt son média. Elle va au bout de ses spécificités. L'illusion de la technologie l'intéresse, elle interroge les représentations de la technique, les usages que l'on a de cette technique. Est-ce qu'à un moment donné l'illusion est plus intéressante que la réalité ? Est-ce que j'ai besoin de l'outil lui-même ? Exemple d'un utilisateur qui a ressenti de l'intrusion sur son ordinateur (plusieurs pop-up s'affichaient) et qui a été choqué.
Oui, effectivement BB veut rentrer dans l'intimité de l'utilisateur, le bousculer un peu, mais ne cherche pas à aller jusqu'à la provocation. Elle est parfois surprise par des réactions d'utilisateurs qu'elle n'a pas anticipées : les gens n'ont pas la même notion de territoire sur leur ordinateur, l'illusion peut autant impressionner que le fait lui-même, l’illusion est une réalité.

Public: il faut que les artistes redonnent un souffle à la communauté, comme à l’époque de la renaissance.
BB: il n'y a pas que les artistes, c'est un tout. L'artiste vit dans la société, y est imprégné et peut en rendre compte. Il agit dans son monde parce que c'est son monde.
Le rôle de l’artiste dans la société peut être perçu comme celui qui va questionner nos normes, nos valeurs, nos usages des objets numériques…

Problème lié à la notion d'auteur, à l'appartenance, à l'unité de l'objet.
Pour BB, l'art est tout sauf populaire. Même si on essaie de le diffuser, on se rend compte que c'est vu par une élite : diffusion dans les milieux culturels... C’est une micro-communauté.
Pour BB, les œuvres qui utilisent internet ont une courte durée de vie.

Les artistes sont de plus en plus hybrides, ils ont toujours été présents pour apporter un regard sur la société.
Question de la reconnaissance et de la légitimation de ces dispositifs dans le monde de l'art.

Comme la perspective, la sculpture... l'art fait sur internet permet d'interroger le comportement de l'acteur dans le dispositif.
Interaction avec l'outil, la personne est mise face au résultat de son action.
L'acteur est acteur : c'est lui qui appuie sur le bouton.
Question sur la liberté relative au net : les artistes se la posent-ils?
Question du contrôle, de la surveillance très souvent abordée par les artistes net-art.
Ajout de notes personnelles :
Pour AA, l'art est d'abord un phénomène socio-culturel

Pour BB, à travers une interface expérimentale, elle fait des propositions sémantiques à l'internaute, principalement par l'image, ou par le son entendu comme musique et éventuellement voix parlée.
Les outils qu'elle utilise doivent trouver leur place dans le projet, le choix de l'outil est conscient. La fonctionnalité de l'outil est intégrée à la problématique du dispositif. Ces choix résultent des possibilités existantes et des rencontres hasardeuses.

AA et BB partage le rapport à l'intime avec l'utilisateur.
Le lien social est modifié quand l'utilisateur se confronte aux dispositifs d'AA et de BB. C'est à partir de pratiques individuelles, à un niveau micro que les choses évoluent, que ces rencontres s'opèrent.
C'est un partage d'expérience au sein d'une micro-communauté, AA: mailing liste pour lancer ces oeuvres participatives.
En termes de « lien social » AA et BB sont d'accord pour dire qu'elles pensent avoir remplies leur rôle d'artiste quand elles « dérèglent le programme de l'utilisateur ». Elles lui font des propositions inattendues.

Le dispositif artistique est vu comme le lien entre la création de l'artiste et les pratiques des utilisateurs.
Immergé dans la société, à partir des connaissances partagées du monde, l'artiste crée et l'utilisateur par ses pratiques individuelles renvoie à l'artiste son appropriation du dispositif pensé par l'artiste.



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