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Fracture numérique de l’Afrique : dimension socio-culturelle
Auteur: Raphaël Ntambue
Publié: 07 Dec 2003
Version: 0.03
ID article: 16
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Fracture numérique de l’Afrique : dimension socio-culturelle

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0. Introduction

Il y a, à côté des moyens financiers, d’autres causes profondes de la fracture numérique de l’Afrique, à savoir : les habitudes de penser et de vivre qui constituent le socio-culturel.

Par dimension socio-culturelle de la fracture numérique de l’Afrique, nous entendons précisément les obstacles socio-culturels africains à surmonter pour " brancher " l’Afrique, diversifier et faciliter les usages de l’Internet, charger le contenu africain, trier le contenu Web, participer à la gouvernance mondiale et à la recherche télématique, et changer les idéologies sous-jacentes au transfert non rentable de la révolution numérique. Il s’agit des manières africaines de penser et de vivre qui :

(1) non seulement retardent " l’appropriation " et la participation africaines à l’innovation numérique,

(2) mais aussi réduisent l’impact socio-culturel de l’Internet au calcul des usages immédiats et à l’influence que l’Internet exerce sur la société africaine en omettant de " l’étendre " à la capacité africaine de prendre part à la gestion mondiale et à la production de l’Internet.

Le socio-culturel ne se réduit donc pas aux coutumes ancestrales du genre respect sacré de la belle mère, sororat, lévirat, etc. Il englobe ici les habitudes d’être et de percevoir qui déterminent les choix, l’usage, la gestion, la production et la pérennité des technologies.

Pour mieux le présenter, nous décrirons d’abord brièvement le contexte macro-économique et " macro-culturel " du transfert actuel de l’Internet en Afrique. Ensuite, nous énumérerons les principaux obstacles culturels à l’appropriation africaine de l’Internet, et terminerons par quelques pistes de solution.

I. Transfert de l’Internet en Afrique : contexte macro-économique et macro-culturel

L’Internet poursuit son développement en Occident dans un contexte macro-économique spécifié par la mutation technique (télématique) et la déréglementation du marché (libéralisation des détenteurs des réseaux). Il débarque aujourd’hui en Afrique dans un climat caractérisé par la " fatigue de l’aide ", la diminution de l’aide publique au développement (APD) et l’obligation de s’insérer progressivement dans le circuit économique mondial. Cet environnement oblige aussi bien l’Occident que l’Afrique à réorganiser leurs politiques nationales respectives, à sceller des alliances entre groupes d’intérêt, à recycler leurs droits et à reconsidérer la gestion du temps des entreprises.

Sur le plan macro-culturel, la mutation technique et économique révolutionne, en Occident, les habitudes de penser et de vivre. Entre autres, elle modifie la conception et la perception des outils de communication. Elle relativise et intègre les frontières traditionnelles entre les supports techniques (ordinateur, téléviseur, téléphone). Elle réduit les spécificités classiques des médias (presse écrite, radio, télévision, etc.) en les rassemblant autour d’un même service technique qu’est l’Internet (traitement et échange de texte, d’image, de son et d’odeur). Elle consacre la convergence des métiers (télécommunication, informatique, audiovisuel, etc.). Elle rend les NTIC transversales à l’ensemble des secteurs de l’économie traditionnelle et à des anciens outils de traitement de l’information et de télécommunication.

En Afrique, cette mutation trouve un contexte caractérisé d’abord par l’insuffisance des conditions classiques d’accueil et de développement culturels des NTIC, et ensuite par l’hésitation entre la souscription au modèle culturel occidental de l’homogénéisation des pratiques des NTIC et la recherche d’une voie inédite de développement culturel par les TIC.

Les conditions d’accueil et de développement culturels des NTIC concernent l’alphabétisation de la masse, la tradition écrite qui évolue vers celle de la reconnaissance vocale en passant par l’écran tactile, la recherche permanente de technologies adaptées aux habitudes sociales, la communication médiatisée par des produits industriels, et les modes de vie que l’industrialisation mettent en place comme l’abonnement, le paiement spontané des factures, la confiance aux institutions et aux sociétés commerciales, la sauvegarde spontanée des acquis technologiques, etc. L’Afrique, pour la majorité de ces critères, reste parent pauvre et promeut des pratiques qui valorisent ce dont elle dispose, notamment la communication sans médiation technologique, l’oralité, la mobilité physique personnelle, etc.

L’enseignement à tirer de ce contexte est triple : (1) la complexité des rouages dans lesquels se trouve l’Internet en Occident ; (2) la constitution du pôle technologique et commercial des NTIC en Occident ; et (3) l’accès de l’Afrique à l’Internet dans des conditions restrictives, à la fois financières, technologiques et socio-culturelles. Dès lors, l’Internet ne s’exportera pas facilement, du moins dans sa nouveauté. L’on doit donc coupler les initiatives occidentales de connecter l’Afrique avec la révolution culturelle africaine.

2. Obstacles socio-culturels africains

Nous voyons pour l’instant douze obstacles majeurs, à savoir :

(1) La conviction et l’obligation d’importer des technologies vétustes, seconde main et fin de série sous prétexte de la minimisation de leur coût à l’achat et de la légendaire adaptation au niveau actuel de développement. En quoi, doit-on rétorquer, l’achat des PC d’occasion modèle 286 ou 386, ou l’acquisition gratuite des programmes sous DOS, par exemple, contribuent-ils à l’accès rentable aux informations contenues sur le Web, aux usages d’e-commerce, à la diminution des coûts d’exploitation des données sur Internet, à l’utilisation des systèmes d’exploitation supportant des programmes de réception fiable, quantitative et rapide des données ?

(2) L’habitude africaine d’importer des technologies sans les valeurs culturelles qui en font des réponses permanentes au défi du milieu. On importe, par exemple, des serveurs et leurs accessoires, mais on oublie que la pérennité de leur fonctionnement est soutenue par des valeurs économico-culturelles comme l’abonnement, le paiement spontané des factures de consommation, la recherche permanente de l’amélioration des systèmes d’information et des services de maintenance, la prévision de branchement pirate, l’idée que toute connexion est payante à moins d’utiliser ou de tricher celle d’un autre abonné.

(3) La priorité africaine de secourir son frère ou son ami plutôt que s’informer. Ceci explique le choix entre l’achat d’un ordinateur et l’aide à sa famille restée au village.

(4) Le niveau d’instruction insuffisant pour trier sur les réseaux ce qui est utile (le monolinguisme, l’analphabétisme, etc.). La curiosité ne porte pas, en Afrique, sur les conditions d’élaboration des solutions et l’analyse des outils importés. Les ordinateurs sont ainsi idéalisés et l’Internet mythifié.

(5) L’application insuffisante des NTIC à de vastes objectifs sociaux comme l’éducation, le planning familial, la lutte contre la grande pauvreté, etc. ;

(6) La mobilisation insuffisante pour des objectifs communs à long terme : les Africains s’associent difficilement pour dénoncer les injustices subies. Cela n’explique-t-il pas la faiblesse des internautes africains face aux organes de gouvernance mondiale d’Internet ?

(7) Les habitudes de vivre étrangères aux sociétés de l’écriture et de l’écran : la tradition orale ; l’importance des rapports directs allergiques à des médiations techniques ; la résistance contre une communication à distance avec des personnes que l’on
ne connaît pas ou que l’on ne voit pas, surtout quand des machines doivent s’interposer ; etc.

(8) La rétention de l’information dans le chef des dirigeants et élites africains. L’Internet et l’ordinateur restent des instruments de la présidence de la république ou des ministres et non de la citoyenneté, des outils citadins et non ruraux, masculins et non féminins, etc.

(9) Certaines valeurs culturelles, spécialement les croyances populaires (religieuses et politiques), le fanatisme, le dogmatisme, etc., qui entretiennent la peur d’accéder à travers l’Internet à des sites diffusant des informations contraires à la morale, à la stabilité politique et aux bonnes mœurs ; qui redoutent que l’Internet n’achève le processus de rationalisation et d’apostasie entamé par la science moderne ; etc.

(10) Diverses discriminations naturelles (homme-femme, vieux-jeunes, linguistique : anglais-français, etc.) qui font qu’il y a moins de femmes, des vieux, de francophones connectés. Une mère de famille et un vieux connectés constituent encore des scandales en Afrique.

(11) La sous-estimation de l’intérêt personnel et commun : on met trop peu en avant son intérêt ou l’intérêt public, on développe rapidement la tendance au travail bénévole et on sous-évalue sa rémunération. Dans ces conditions, on peut certes implanter à faible coût des réseaux mais rien ne garantit la pérennité de ceux-ci à cause justement de la faiblesse de revenu et de la désertion facile des travailleurs à la recherche d’autres moyens de survie.

(12) La conception africaine du temps qui est loin d’être celle du temps-argent que l’Internet véhicule et qu’une connexion lente hypothèque.

3. Solutions globales

Sur le plan socio-éducatif, les gouvernements africains doivent accélérer et améliorer l’éducation, l’alphabétisation classique et fonctionnelle, la formation permanente, les formations techno-scientifiques, pour à la fois créer le besoin de l’Internet chez les Africains et assurer les conditions de son bon usage. Ils devront conjuguer leurs efforts avec ceux de différents programmes de coopération technique internationale, engagés dans l’amélioration de l’enseignement et de la recherche informatiques. Le projet des universités virtuelles africaines de la Banque Mondiale et de la Francophonie, et les sessions d’initiation aux usages restent des opportunités à saisir.

De même, il faudra encourager des conférences régionales, nationales et locales vulgarisant des thèmes sur les défis locaux comme point de départ et d’arrivée des innovations numériques. On montrera ainsi que les solutions logicielles comme le filtre, la clé parentale, l’écran d’alerte, le codage et le cryptage sont des solutions aux problèmes de mœurs posés en Occident sans avoir épuisé le sujet.

Enfin, il faudra vulgariser quatre idées :

  1. L’Internet n’est pas le fruit d’une génération spontanée. Il est au contraire le résultat de plusieurs années d’essais et erreurs et s’enracine dans l’effort soutenu des Occidentaux à répondre aux défis de leur milieu de vie. A ce double titre, il charrie une habitude de raisonner qui se caractérise, entre autres, d’une part par l’exigence permanente de modéliser, de formaliser, de calculer ainsi que d’automatiser les connaissances et leurs bases respectives de manière à déduire de celles-ci des solutions aux problèmes posés, et d’autre part par la capacité de sauvegarder les acquis techno-scientifiques grâce à la participation de chacun aux efforts de financement de la recherche via le mécanisme de paiement de l’impôt et grâce à la contestation démocratique à l’occasion des failles des systèmes mis en place. L’Afrique peut s’insérer dans chacune de ces voies parce que le progrès inédit de l’Internet se poursuit. Elle pourra ainsi jouer non plus seulement le rôle de station-relais, mais aussi de productrice de génie logiciel.

  2. Maîtriser l’usage de l’Internet en Afrique est une tâche noble qui s’inscrit dans le contexte des réponses à la question pertinente posée par J.J. Dumont, à savoir : " L’Internet sauvera-t-il l’Afrique ? ". Il reste cependant à trouver des réponses à cette autre question, risible à première vue : " L’Afrique sauvera-t-elle l’Internet équitable ? ". Ce qui signifie que la fracture numérique et les dangers de l’Internet en Afrique trouveront peut-être d’autres solutions durables dans la participation africaine à la recherche informatique (technologie et gouvernance). C’est l’une des conditions majeures pour faire éclater la logique de la dépendance et les iniquités sous-jacentes au rôle de consommateur qu’on réserve à l’Afrique et que le système mondial actuel cautionne par une gouvernance par autorégulation de l’Internet.

  3. Explicitation de la révolution culturelle que l’Internet est censé apporter à l’Afrique, à savoir : 1) la remise en question permanente grâce à la disponibilité et à l’exploitation de la masse d’information Web, 2) l’accès à l’information pour toute les catégories de la société, 3) l’élargissement de la vision du monde, 4) la nécessité d’enregistrement des personnes et des biens, etc.

  4. Dédramatisation et responsabilisation : il s’agit des discours de relativisation des difficultés que rencontrent les organisations qui travaillent à la mise en place de la société africaine de l’information ; ils consisteront à montrer comment certains problèmes ont été résolus dans d’autres continents.

Conclusion

Il ressort de cette réflexion que si l’on veut réduire la fracture numérique de l’Afrique, l’on doit s’engager, du point de vue socio-culturel, sur deux fronts : celui de la préparation des habitudes culturelles qui vont accompagner l’insertion et la pérennité des NTIC en Afrique et celui des changements des mentalités au nord et au sud qui ralentissent la connectivité et l’appropriation africaine de l’Internet. C’est à ce double prix que le politique et l’économique trouveront des bases solides pour des projets rentables des NTIC. Il restera alors à déterminer l’impact de telles mutations sur le développement global de l’Afrique.

Par Raphaël NTAMBUE Tshimbulu

Président de l’Institut de recherche IRTAVI (Bruxelles)

tntambue@ulb.ac.be



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